Violation des statuts : confirmation de l’absence de nullité !

22/01/2014

➢      Dans un arrêt en date du 19 mars 2013 (Note 1) relatif à la violation des statuts d’une société civile, la Cour de cassation reprend sa jurisprudence initiée en 2010, selon laquelle « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative d’aménager conventionnellement la règle posée celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité ».

Les statuts d’une société civile prévoyaient que la gérance avait la possibilité de consulter les associés par correspondance mais que l’assemblée ordinaire devait être réunie au moins une fois par an pour statuer sur la reddition des comptes et sur l’affectation et la distribution des bénéfices. Or, à trois reprises cette règle n’avait pas été respectée et les délibérations sur la reddition des comptes et sur l’affectation et la répartition des bénéfices avaient été effectuées par consultations écrites et non par assemblée. La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel qui avait annulé ces consultations écrites.

C’est une nouvelle confirmation s’agissant des sociétés civiles de l’arrêt « Larzul »  en date du 18 mai 2010 (Note 2) qui concernait les SAS. La solution a également été appliquée en matière de SARL (Note 3).
Le seul tempérament à l’absence de nullité en cas de violation des statuts consiste, rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, en la violation d’une disposition statutaire qui a fait usage de la faculté ouverte par une disposition impérative d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci. Par exemple, s’agissant des sociétés anonymes,  il pourrait en être ainsi des stipulations des statuts renforçant les règles de majorité pour les décisions du conseil d’administration (Note 4). Mais, force est de constater que cela concerne un nombre relativement réduit de dispositions légales, notamment dans les SAS et, dans une moindre mesure, les sociétés civiles, qui connaissent, de par leur régime souple (par comparaison avec le régime très encadré de la société anonyme), peu de dispositions impératives et à fortiori peu de dispositions impératives laissant une faculté d’adaptation aux rédacteurs des statuts (Note 5).

S’agissant des sociétés civiles, les décisions ne modifiant pas les statuts peuvent donc être annulées seulement si elles violent des dispositions impératives du titre IV du livre IX du code civil (Note 6) ou l’une des causes de nullité des contrats en général, en conformité avec l’article 1844-10 du Code civil (il en va de même pour les décisions prises dans les sociétés commerciales, l’article L. 235-1 du Code de commerce reprenant exactement la formulation de l’article 1844-10 du Code civil pour les sociétés commerciales).

Cette jurisprudence est critiquée par une partie de la doctrine la mieux autorisée car elle « aboutit à priver d’efficacité la grande majorité des clauses statutaires » notamment dans les SAS et les sociétés civiles (Note 7)

Une solution envisagée par certains auteurs serait de prévoir directement dans les statuts la sanction par la nullité de leur violation [Note 8] mais cette solution, outre qu’elle est critiquée par une partie de la doctrine (Note 9), n’a pas reçu de consécration par la jurisprudence.

Devant cette incertitude, il existe des solutions de « sécurisation » : ainsi, il est possible de prévoir statutairement que la violation des statuts entrainera une exclusion de la société (notamment dans les SAS) (Note 10) ou une déchéance des droits que détient l’associé fautif dans le cadre du pacte d’associés (s’il en existe un), même s’il faut bien reconnaître qu’aucune de ces solutions n’est parfaitement idéale. Certains ont d’ailleurs pu voir dans la jurisprudence « Larzul » une sorte de « provocation » de la Cour de cassation vis-à-vis du législateur afin de l’inciter à modifier la loi relative aux nullités en matière de droit des sociétés (Note 11).

Samuel Schmidt – avocat au barreau de Paris – UGGC Avocats

Note 1 : Cass com, 19 mars 2013, n°12-15283

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.dooldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027209718&fastReqId=773039387&fastPos=1

Note 2 : Cass com, 18 mai 2010, n°09-14855

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.dooldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022258610&fastReqId=379522516&fastPos=1

Note 3 : Cass com, 30 mai 2012, n°11-16272

voir notre commentaire sur ce blog : http://private-equity-et-fusions-acquisitions.uggc.com/?p=32

 Note 4 : en ce sens Francis Lefebvre, sociétés commerciales 2014, n°89361.

Note 5 : en matière de SAS, on peut citer par exemple l’article L. 227-9 du Code de commerce qui dispose dans son premier alinéa que « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement dans les formes et les conditions qu’ils prévoient » et dans son dernier alinéa que « les décisions prises en violation du présent article peuvent être annulées à la demande de tout associé ».

Note 6 : une disposition impérative est par exemple l’alinéa 1 de l’article 1844 du code civil  prévoyant que « tout associé a droit de participer aux décisions collectives » ce qui a été posé par l’arrêt Chateau d’Iquem en date du 9 février 1999. Voir également en ce sens les deux arrêts de la Cour de cassation en date du 9 juillet 2013 commentés sur ce blog : lien http://private-equity-et-fusions-acquisitions.uggc.com/?p=89 ; en ce qui concerne les décisions sociales modifiant les statuts, on rappellera que la loi est encore plus restrictive s’agissant du champ d’application des nullités (l’article L. 235-1 du Code de commerce prévoyant que la nullité des décisions modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse) et ce pour préserver la sécurité juridique des tiers.

Note 7 : voir commentaire de l’arrêt du 19 mars 2013 par Paul Le Cannu : « une violation bien tranquille (nullités et statuts de société) » Revue des sociétés, janvier 2014, page 51 et s.

Note 8 : voir Paul Le Cannu op.cit. qui évoque la solution sans véritablement prendre parti en sa faveur.

Note 9 : résolument opposés à cette solution : Michel Germain et Pierre-Louis Perrin, La Société par Actions Simplifiée, 5ème édition, n°175.

Note 10 : l’article L. 227-16 du Code de commerce prévoit expressément cette possibilité pour les SAS.

Note 11 :  en ce sens Paul Le Cannu op.cit.