La faute – envers de l’aléa thérapeutique (civ.1 20 mars 2013 n°12-13900 ; civ. 1 24 avril 2013 n°12-17975 ; civ. 1 24 avril 2013 n°12-17751)
La frontière maladresse – aléa peut parfois paraître difficile à appréhender quand il s’agit de l’exécution technique d’un geste médical dans les suites duquel il est constaté une lésion, une plaie, une blessure, une perforation, une section.
Le principe est bien que la responsabilité médicale ne peut être engagée qu’à la suite d’une faute, mais les actes du médecin et en particulier des chirurgiens ont pu être appréciés avec une certaine sévérité, avant que ne soit applicable la loi du 4 mars 2002.
La cour de cassation en septembre 1997[1] le formulait en ces termes « toute maladresse d’un praticien engage sa responsabilité et est, par là même, exclusive de la notion de risque inhérent à un acte médical ». Le praticien qui procède à une intervention sur un patient se doit d’être irréprochable dans ses gestes techniques. Il a ainsi une « obligation de précision »[2]. Certains l’ont qualifiée d’obligation de sécurité résultat avant que la cour de cassation ne vienne sanctionner cette référence[3].
Pourtant, il est des situations dans lesquelles le chirurgien n’a pu éviter la réalisation d’une atteinte à l’intégrité physique de la personne opérée bien que l’intervention ait été pratiquée dans les règles de l’art, sans que la moindre maladresse ne puisse être décelée : une obligation de précision face à l’absence de faute prouvée.
Pour apprécier la responsabilité et admettre ou non l’absence de faute, les juges ont ainsi été amenés à prendre en considération l’existence éventuelle d’une anomalie anatomique rendant inévitable l’atteinte malgré des soins attentifs et diligents[4] mais également les difficultés inhérentes au recours à certaines technique notamment l’endoscopie.
La responsabilité est ainsi susceptible d’être engagée dès lors que la réalisation de l’acte effectué n’impliquait pas la lésion constatée et que le patient ne présentait aucune prédisposition anatomique rendant l’atteinte inévitable. Au contraire, pour retenir une absence de faute, il doit être constaté, si l’acte médical est par ailleurs conforme aux données de la science, la survenance d’un risque inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé[5].
Un arrêt du 17 janvier 2008[6], sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, vient apporter des précisions. Il s’agissait de la lésion du nerf inguinal à l’occasion de l’extraction d’une dent de sagesse. La cour d’appel avait retenu la responsabilité du praticien et celui-ci, à l’appui de son pourvoi, rappelait le principe selon lequel le praticien n’est responsable que des conséquences dommageables de sa faute, faute qu’il appartient au patient d’établir et reprochait à la cour d’appel d’avoir inversé la charge de la preuve et faire peser sur lui une obligation de résultat en violation des articles 1315 et 1147 du code civil (applicable aux faits de l’espèce). La cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que l’arrêt, après avoir constaté que l’extraction de la dent de sagesse n’impliquait pas les dommages subis par la patiente, « retient exactement en faveur de celle-ci une présomption d’imputabilité du dommage à un manquement fautif du praticien » et qu’ayant relevé que le praticien ne démontrait pas que le trajet du nerf lésé présentait une anomalie rendant son atteinte inévitable, la cour d’appel « a pu déduire l’imputabilité du dommage à l’imprécision du geste médical ».
La faute-envers de l’aléa thérapeutique, est ainsi présumée à partir du dommage. Lorsque l’acte médical est conforme aux données acquises de la science, l’atteinte à un organe non impliqué par l’intervention suffit à caractériser la faute.
C’est ce qui ressort de deux arrêts récents rendus dans des hypothèses où la loi de 2002 n’était pas applicable et même s’il s’agit d’arrêts de rejet et pour des cas ou était suffisamment caractérisée l’absence de faute.
Par un arrêt du 24 avril 2013[7], la cour de cassation, après avoir rappelé que les juges du fond avaient constaté, sur le fondement des conclusions de l’expert, d’une part, l’absence de négligence ou maladresse, l’inexistence de moyen de pallier les dysfonctionnements de l’appareil manducateur qui peuvent se produire à la suite de l’avulsion d’une dent de sagesse et, d’autre part, que les moyens utilisés pour l’extraction de la dent étaient précisément ceux qui n’avaient pas pour conséquence d’entraîner ce type de fonctionnement, rejette le pourvoi et vient confirmer, au détour de sa décision, le principe évoqué plus haut :
« Qu’ayant ainsi, en l’absence d’une lésion d’un organe ou d’un tissu non impliqué par l’intervention, caractérisé l’absence de toute faute de la part de Mme Y…, tant dans le choix de la technique que dans la conduite de l’intervention, elle n’a pu que décider que sa responsabilité n’était pas engagée ».
Egalement dans un arrêt du 24 avril 2013[8], la cour de cassation, avoir rappelé que la Cour d’appel avait relevé que, selon, l’expert, l’intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées, qu’aucune erreur, négligence, ou toute défaillance n’avait été commise et aucun élément objectif ne permettant de caractériser la lésion d’un organe ou d’un tissu qui n’aurait pas dû être endommagé au cours de l’adénomectomie, considère « qu’elle n’a pu qu’en déduire, en l’absence d’une telle lésion ou d’une faute quelconque, que la responsabilité de M. Y…ne pouvait être engagée ».
Certains ont dénoncé cette conception très extensive de la faute médicale présumée établie dès lors qu’une lésion d’un organe étranger à l’intervention était constatée, conception qui permettait néanmoins une indemnisation des victimes notamment avant l’avènement de la loi du 4 mars 2002. Ils ont supposé que lorsque la loi du 4 mars 2002 serait applicable, les victimes, pour autant que les seuils de gravité soient atteints, pourraient être indemnisées au titre de la solidarité nationale[9].
Pourtant, la cour de cassation n’a pas fait évoluer sa jurisprudence lorsque les dispositions de la loi du 4 mars 2002 se sont révélées applicables et les mêmes principes demeurent.
De fait, si l’exigence en est rappelée, la notion de faute n’a pas pour autant varié[10]. L’utilité du concept de faute induite ou virtuelle n’a pas disparu avec l’avènement de la loi du 4 mars 2002 et la prise en charge de l’accident médical non fautif au titre de la solidarité nationale qui, il faut le rappeler, obéit à des conditions strictes, qu’il s’agisse des seuils de gravité ou de l’existence de conséquences anormales au regard de l’état de santé comme de son évolution prévisible[11].
Dans un arrêt du 20 janvier 2011[12] concernant des faits couverts par la loi du 4 mars 2002, la Cour de cassation suit la droite ligne des jurisprudences antérieures.
La responsabilité du praticien était ici recherchée suite à la survenue d’une lésion dentaire lors de son intubation. La juridiction de proximité n’a retenu aucune faute du médecin qui avait procédé à une anesthésie générale conforme aux règles de l’art et a considéré que le préjudice relevait en conséquence d’un aléa thérapeutique. Mais la cassation est prononcée au visa de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique au motif qu’ « en statuant ainsi, sans constater la survenance d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé », le juge de proximité a violé ce texte.
L’arrêt rendu le 20 mars 2013 par la cour de cassation[13] a clairement et strictement réaffirmé les principes dégagés antérieurement à la loi du 4 mars 2002.
C’est au visa de l’article 1315 du code civil et ensemble de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique, qu’elle pose en principe que « l’atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n’impliquait pas, est fautive, en l’absence de preuve, qui lui incombe d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent de cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l’aléa thérapeutique ».
La cour d’appel a écarté la faute du praticien, qui lors d’une liposuccion, a perforé l’intestin grêle de la patiente au niveau de la hernie ombilicale non décelée lors de l’examen clinique préalable en relevant qu’il n’était pas démontré que la hernie ombilicale était décelable lors de l’examen clinique préalable qui s’était révélé normal, et que, aucun facteur de risque n’étant évoqué et compte tenu des circonstances, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir effectué de plus amples recherches et que, même s’il n’était pas contestable que la plaie de l’intestin grêle résultait de l’acte chirurgical, il n’était pas davantage démontré que ce dernier n’avait pas été contraire aux règles de l’art.
La cour de cassation lui a reproché tant la violation de l’article 1315 du code civil[14] qu’un défaut de base légale au regard de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique.
A partir du moment où il était constaté que l’intestin grêle avait été perforé lors d’une intervention de liposuccion, il appartenait à la cour d’appel de caractériser en quoi le chirurgien avait fait la preuve de ce que la hernie ombilicale constituait une anomalie indécelable rendant l’atteinte inévitable ou de ce que le risque de perforation n’aurait pas été maîtrisable.
Cet arrêt n’est pas sans rappeler celui précité du 17 janvier 2008[15].
La preuve de la faute résulte de la lésion survenue. Elle est présumée. Il s’agit d’une présomption simple qui peut être combattue par la preuve inverse.
En harmonie avec l’article 9 du code de procédure civile selon lequel « chacun doit prouver ce qu’il avance, toutes les fois qu’il est simplement contredit par son adversaire », l’application de l’article 1315 du code civil visé par la cour de cassation prend alors tout son sens : à celui qui réclame l’exécution de l’obligation de prouver qu’elle a bien été accomplie et à celui qui s’en prétend libéré de prouver qu’elle est éteinte.
D’un point de vue sociologique, cette règle traduit, en procédure, l’idée que l’exécution normale des obligations est la règle ; l’inexécution l’exception.
Ici, la situation normale est bien l’absence de lésion d’un organe non impliqué. Si fait que l’atteinte à cet organe suffit en elle-même à constituer la preuve du manquement.
La faute est induite, présumée.
En vertu de la règle procédurale de la charge de la preuve, il appartient donc à l’auteur de l’atteinte de justifier d’un fait exonératoire.
La cour de cassation a strictement défini ce fait exonératoire. Il s’agit d’une anomalie indécelable rendant l’atteinte inévitable ou d’un risque de lésion inhérent à l’intervention et non maitrisable.
Les juridictions du fond l’ont bien compris[16].
Au-delà d’une présomption de faute, d’aucuns se poseront la question, certes conceptuelle, de l’existence sous-jacente d’une obligation de sécurité résultat qui ne donne pas son nom et dont il n’est possible de s’exonérer que par la preuve de la force majeure dont la teneur est ici précisément définie par la jurisprudence.
Elle ne concernerait strictement que l’acte chirurgical dans le cadre d’une atteinte à un organe non impliqué par l’intervention par ailleurs réalisée dans les règles de l’art.
Mais plus simplement, si le principe est bien, en application de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique que la responsabilité du praticien ne peut être engagée qu’en cas de faute, il reste que le chirurgien reste tenu d’une obligation de précision de son geste qui ne doit pas impliquer une atteinte à la personne, sauf à ce qu’il rapporte la preuve qui lui incombe d’une anomalie indécelable rendant l’atteinte inévitable ou d’un risque de lésion inhérent à l’intervention et non maitrisable. S’il ne s’agit pas au sens littéral d’une obligation de sécurité résultat dans un contexte actuel où la cour de cassation en bannit l’emploi[17], il s’agit pour le moins d’une obligation de perfection du geste médical dont le chirurgien ne peut se départit qu’en rapportant la preuve qui lui incombe «d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent de cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l’aléa thérapeutique ».
[17] Nbp 3 – civ. 1ère 12 juillet 2012 n°11-17.510 (abandon de l’obligation de sécurité résultat du praticien pour les choses qu’il utilise dans le cadre d’une prestation de soins).
Max Mietkiewicz
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