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Lex Inside – ‘Peut-on entraîner une intelligence artificielle sur des contenus protégés sans licence ?’ avec Anne-Marie Pecoraro

Arnaud Dumourier a invité sur BSMART 4Change Anne Marie Pecoraro, associée d’UGGC Avocats sur la question : « Peut-on entraîner une intelligence artificielle sur des contenus protégés sans licence ?" Elle a expliqué l’application de la loi américaine du Copyright Act et la récente plainte de Disney et NBC Universal contre #Midjourney. 

Dès lors qu’une œuvre est protégée, le Copyright Act interdit sa reproduction, distribution ou adaptation, à moins qu’une autorisation ou une licence n’ait été obtenue. Il convient de caractériser la reproduction. A moins aussi que l’exploitation ne soit couverte par une exception : Anne Marie Pecoraro a fourni des éclaircissements sur l’exception de « fair use » et les quatre critères qui permettent son application, avant d’aborder la position du US Copyright Office sur le processus de reproduction.

Peu après cet entretien, deux institutions dévoilaient les résultats de leurs études sur le droit d’auteur et l’intelligence artificielle. 

A l’échelle de l’Union, le Parlement européen (le premier organe législatif de l’Union européenne) divulguait la version finale de son étude sur les pistes de sa réforme du droit d’auteur pour l’adapter à l’IA générative[1]. L’institution recommande de mettre en œuvre une réforme privilégiant l’accord de l’ayant droit préalablement à l’entrainement d’IA sur des œuvres protégées, et de rémunérer les créateurs en taxant les fournisseurs d’IA. Cette seconde suggestion rejoint le projet de rapport de l’eurodéputé allemand Axel Voss (PPE), publié le 4 juillet 2025.  

A l’échelle française, c’est la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat qui publiait un rapport[2] sur le sujet. Cette commission permanente du Sénat, instituée par la résolution du 19 janvier 1959, est présidée par le sénateur Laurent Lafon (Union Centriste). Elle commet des rapports d’informations ou des rapports législatif sur la communication, la culture, l’éducation, la francophonie, la jeunesse, la recherche, le sport et la vie associative. En l’espèce, la mission de la commission avait pour objectif d’analyser les liens entre l’intelligence artificielle et la création artistique.

Comme le soulignent les rapporteurs du Sénat, l’IA générative interroge sur le statut juridique des œuvres qu’elle crée, car elle n’est plus seulement l’outil qui prolonge la volonté d’un créateur humain, elle devient parfois la source à part entière. Le droit d’auteur est profondément ancré dans la notion d’œuvre de l’esprit et une IA complètement génératrice se heurte nécessairement à la condition d’originalité propre au droit d’auteur.

C’est surtout pour les titulaires du droit d’auteur que l’IA est perturbatrice. En effet, les méthodes d’apprentissage de ces modèles comprennent une collecte massive de données. Les rapporteurs insistent sur l’aspect essentiel de rémunérer dans le cadre de licences pour l’utilisation de données, afin qu’émerge un équilibre entre les acteurs des nouvelles technologies et les ayants droits.

S’agissant de la législation sur ce sujet, la directive de l’Union européenne de 2019[3] sur le droit d’auteur et les droits voisins a très vite été dépassée par l’IA générative. Une disposition (transposée en droit français)[4] de la directive a ouvert une brèche pour le « text and data mining » ou TDM, en autorisant l’exploitation d’œuvres protégées pour le développement des modèles d’IA. Les développeurs étaient en mesure d’utiliser ces données, à moins que les titulaires des droits ne s’y opposent via le système d’« opt out ». Le Règlement de l’Union européenne du 13 juin 2024[5] a plus récemment prévu une obligation pour les fournisseurs de modèles d’IA de prendre des mesures visant à respecter le droit d’auteur, notamment à travers deux dispositions :

  • La première exige le respect de la clause d’opt-out prévue par la directive de 2019 au bénéfice des ayants droits et l’établissement d’un code de bonne pratiques non contraignant. Ce code, rédigé par la Commission européenne (second organe législatif de l’Union européenne) a été publié ce jeudi 10 juillet après une révision finale. Créé afin d’aider les fournisseurs d’IA à se conformer à la législation européenne sur l’IA, il entrera en vigueur le 2 août 2025. Avant cette date, les Etats membres et la Commission évalueront son adéquation, et une fois approuvé, les fournisseurs de modèles d’IA à usage général qui le signeront bénéficieront d’une charge administrative allégée et d’une sécurité juridique accrue. Les ayants droits demeurent insatisfaits de cette nouvelle rédaction en raison de l’absence de contrôle des données utilisées par les fournisseurs et de la hiérarchisation des méthodes de réservation des droits au bénéfice de « robot.txt ». Les rédacteurs sont restés dans le cadre du règlement sur l’IA, mais ont fait un pas vers les ayants droits en remplaçant la notion « d’efforts raisonnables » en s’acheminant vers un engagement à appliquer ces bonnes pratiques pour les fournisseurs d’IA. D’ici la fin du mois de juillet, la Commission complètera ce code par des lignes directrices sur les concepts clés liés aux modèles d’IA à usage général, notamment, qui entre et sort du champ d’application de la législation sur l’IA.
  • La seconde concerne les interrogations issues de la problématique de la transparence sur les données utilisées par les fournisseurs d’IA. Elle oblige les fournisseurs d’IA à mettre à disposition du public un « résumé suffisamment détaillé » du contenu utilisé pour entraîner leurs systèmes. Ce résumé n’a pas encore été rédigé et devra concilier la protection des ayants droits avec le respect du secret des affaires des fournisseurs.

Le rapport d’information du Sénat à l’ambition de susciter une loi française qui instaurerait une présomption d’utilisation des contenus culturels par les fournisseurs d’IA, notamment si la concertation lancée entre les fournisseurs d’IA et les ayants droits culturels ne parvient pas à trouver de solution adaptée d’ici l’automne prochain. Les sénateurs pourraient déposer une proposition de loi qui, après avoir été étudiée par les commissions compétentes et potentiellement amendée, serait amenée à être votée par l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans le cas où cette loi échouerait, il a été évoqué l’option de taxer le chiffre d’affaires réalisé en France par les fournisseurs d’IA, dans le but de compenser le secteur culturel.

BIBLIOGRAPHIE


[1] Generative AI and Copyright – European Parliament – July 2025

[2] Mission d’information relative à l’intelligence artificielle et la création – Publié le 9 juillet 2025

[3] Directive européenne 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins

[4] Article L122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle

[5] Règlement 2024/1689 du 13 juin 2024 sur l’intelligence artificielle, articles 53, 1, c) et 53, 1, d)