Opérations de concentration sous les seuils de notification : vers une multiplication des contrôles sous l’angle des pratiques anticoncurrentielles ?
L'Autorité belge de la Concurrence s'est récemment illustrée, en matière de contrôle des opérations de concentration sous les seuils de notification, en ouvrant une enquête le 22 janvier 2025 concernant de possibles effets anticoncurrentiels pouvant résulter de l'acquisition par Dossche Mills des activités commerciales artisanales de Ceres dans le secteur de la farine.
Bien que le chiffre d’affaires des activités à céder n’atteignait pas les seuils de notification de l’opération, celle-ci n’étant en conséquence pas soumise au contrôle préalable des concentrations, l’Autorité belge de la Concurrence justifie l’ouverture d’une enquête notamment par le fait que Dossche Mills et Ceres sont les deux plus importants producteurs et fournisseurs de farine à destination des boulangeries artisanales en Belgique.
Il convient de noter que Dossche Mills avait déjà tenté d’acquérir la totalité de Ceres en 2019. Cette opération avait été notifiée à l’Autorité belge de la Concurrence, qui avait constaté l’existence de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le maintien d’une concurrence effective sur les marchés affectés. L’opération avait été abandonnée.
Tirant partie de la jurisprudence Towercast, l’Autorité belge de la concurrence a mobilisé l’article IV. 39 du code droit économique belge, qui prohibe les ententes anticoncurrentielles, pour contrôler l’opération en cours de réalisation. Pour rappel, la CJUE avait jugé dans l’arrêt Towercast qu’une opération de concentration n’atteignant pas les seuils de notification pourrait néanmoins être examinée sous l’angle de l’article 102 du TFUE qui prohibe les abus de position dominante.
L’utilisation du droit des pratiques anticoncurrentielles pour contrôler des opérations de concentration sous les seuils permet à l’Autorité belge de la Concurrence de pallier son absence de pouvoir d’évocation des opérations ne franchissant pas les seuils.
Le communiqué de presse de l’Autorité belge de la Concurrence intervient dans le contexte de l’ouverture par l’Autorité de la concurrence française, qui ne dispose pas non plus d’un tel pouvoir d’évocation, d’une consultation publique visant à explorer trois options lui permettant de contrôler des opérations de concentration sous les seuils :
- la création d’un pouvoir d’évocation sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs ;
- l’instauration d’un seuil de notification obligatoire pour certaines entreprises disposant d’un fort pouvoir de marché ;
- la limitation de son intervention au contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Il convient de noter que l’Autorité de la concurrence française a déjà fait application de la jurisprudence Towercast, en étendant sa portée pour admettre l’applicabilité de l’article 101 TFUE qui prohibe les ententes anticoncurrentielles afin de contrôler a posteriori des opérations de concentrations dans le secteur de l’équarrissage (ADLC, décision n° 24-D-05 du 2 mai 2024). Elle avait, dans cette affaire, prononcé un non-lieu. Par ailleurs, une notification de griefs a été adressée en octobre 2024 par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à des entreprises qui auraient conclu et mis en œuvre un accord ayant conduit à la constitution d’un monopole et à l’élimination de toute concurrence sur un marché.
L’affaire Dossche Mills illustre la volonté des autorités de concurrence de s’assurer qu’aucune concentration, même non soumise à une notification préalable, ne porte atteinte à la concurrence.
L’application des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles aux opérations de concentration n’atteignant pas les seuils de notification pose toutefois question en ce qu’elle est de nature à porter atteinte à la sécurité juridique antérieurement offerte aux entreprises par le régime du contrôle des concentrations ex ante. Désormais, les entreprises réalisant une telle opération bénéficient d’une prévisibilité moindre, ce qui est renforcé par le fait qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas de grille d’analyse précise qui permettrait aux entreprises d’évaluer le caractère potentiellement anticoncurrentiel des opérations qu’elles envisagent. Par ailleurs, de nombreuses difficultés procédurales se posent également : quel régime de prescription appliquer (une opération de concentration ayant un caractère anticoncurrentiel est-elle une infraction instantanée ou une infraction continue) ? Quel type de sanction est adapté, étant précisé que celle-ci peut survenir longtemps après la réalisation de l’opération ?
L’application de ce type de contrôle ex post par les autorités de concurrence fait ainsi naître de nombreuses questions pour les entreprises et un suivi attentif de l’évolution de la doctrine et des pratiques des autorités de concurrence s’avère crucial pour les entreprises.
Max Mietkiewicz
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