Pacte d’actionnaires : nouvelle illustration de l’absence de sanction réelle en cas violation d’une convention de vote

26/11/2013
  • La Cour d’appel de Paris apporte dans un arrêt récent un nouvel exemple de la difficulté de mise en œuvre de certaines stipulations des pactes d’actionnaires (CA Paris, 1er octobre 2013 n°12/17788).

Dans cette espèce, un pacte d’actionnaires avait été conclu entre différentes sociétés et fonds d’investissement de la place pour assurer le contrôle capitalistique d’une PME dont le développement avait nécessité plusieurs levées de fonds.

L’un des actionnaires historiques qui détenait encore plus du tiers du capital social, s’était ménagé dans le cadre de ce pacte, le droit de désigner deux des sept membres du conseil de surveillance de la société anonyme ; pour ce faire, toutes les parties au pacte avaient pris l’engagement de voter en faveur de deux candidats proposés par cet actionnaire historique lors du vote sur la nomination des membres du conseil de surveillance.

Par ailleurs, ces deux postes au conseil de surveillance assuraient à l’actionnaire un droit de véto de fait sur certaines décisions de gestion et notamment sur les engagements de dépenses d’un montant supérieur à 100 000 euros. Ce droit de véto était atteint par le biais de majorités qualifiées requises au sein du conseil de surveillance (5/7ème).

Ces stipulations du pacte d’actionnaires avaient été reprises au sein des statuts de la société, avec certainement l’espoir d’en renforcer la sécurité juridique.

Lors de l’assemblée générale ordinaire, un conflit entre actionnaires a eu pour conséquence le rejet des deux candidats proposés par l’actionnaire historique qui n’ont pas été nommés au conseil de surveillance. Cet actionnaire s’est donc retrouvé sans représentant au sein de ce conseil et n’a pas pu s’opposer à l’approbation de plusieurs dépenses dont il contestait la nécessité.

Compte tenu de cette situation, cet actionnaire a saisi le Tribunal de Commerce de Paris d’une demande en annulation des délibérations du conseil de surveillance où il n’était pas représenté, de délibérations du directoire intervenues en suite des autorisations accordées et de l’assemblée générale ordinaire.

Par jugement en date du 21 septembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes et a laissé 3 mois à la société pour tenir une nouvelle assemblée générale ordinaire pour couvrir une irrégularité de pure forme encourue par ailleurs.

Lors de cette nouvelle assemblée générale ordinaire, c’est donc en ayant pleinement connaissance de violer l’une des stipulations du pacte que les actionnaires ont refusé, pour la seconde fois, la nomination au conseil de surveillance des candidats proposés par l’actionnaire historique. C’est dans ce contexte que ce dernier a interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris.

Sur l’argument tiré de la violation des stipulations du pacte d’actionnaires, la Cour d’appel a jugé, qu’au regard de l’article L.235-1 alinéa 2 du Code de commerce, « la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats, de sorte que la méconnaissance d’une stipulation d’un pacte d’actionnaires, qui se résout, le cas échéant, par l’allocation de dommages-intérêts, ne peut être cause de nullité d’une décision prise par les organes statutaires de la société. »
En effet, l’article L.235-1 alinéa 2 du Code de commerce dispose que la nullité des actes ou délibération pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter « que d’une violation d’une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats. »
En l’espèce, les délibérations de l’assemblée générale ordinaire n’étaient en contradiction qu’avec une stipulation contractuelle et les délibérations du conseil de surveillance ne violaient qu’une stipulation statutaire. Aucune de ces délibérations n’était en infraction à une disposition impérative du Livre II du Code de Commerce.
La Cour d’appel a rejeté l’argument du demandeur selon lequel les stipulations du pacte valaient aménagement d’une disposition impérative du Livre II du Code de commerce et auraient donc, par ce seul fait, dû bénéficier de la même sanction.
La Cour rappelle que le seul recours ouvert au demandeur était une demande de dommages et intérêts que celui-ci n’avait même pas formulée, sans doute devant l’impossibilité qu’il avait de pouvoir démontrer tant le principe que le quantum d’un éventuel préjudice subi en l’espèce. En effet, comment quantifier le préjudice résultant de la perte d’influence liée à une position minoritaire au sein d’un conseil de surveillance d’une société anonyme ?

Cette solution n’est pas une surprise. Si certaines juridictions du fond ont déjà tenté de formuler des solutions visant à assurer une exécution forcée des conventions de vote (obligations de vote sous astreinte – CA Paris 30 juin 1995, Metaleurop, JCP E 96 II, 795 – décision d’ajournement d’une assemblée – CA Paris 2 août 2001, BJS décembre 2001, p. 1269, n° 275) et si  la doctrine a déjà plaidé brillement en faveur des arrêts valant vote (F-X Lucas, L’exécution forcée des conventions de vote, BJS juillet 2011, n° 7, p. 625), les dispositions de l’article L.235-1 alinéa 2 restent, semble-t-il, un obstacle insurmontable à l’annulation des décisions votées en contradiction avec les stipulations du pacte d’actionnaires.
Il reste un argument qui aurait pu être soulevé en l’espèce : la contrariété du vote aux « lois qui régissent les contrats ».  On aurait peut-être pu soutenir avec la meilleure doctrine ((P. Mousseron, Les conventions sociétaires, LGDJ 2010, n°433.) que la convention de vote ayant été insérée dans les statuts de la société, elle était devenue la loi de l’ensemble des actionnaires en application des dispositions de l’article 1134 du Code civil et que, dès lors, la délibération prise était contraire aux « lois qui régissent les contrats ». Cette thèse n’a – malheureusement – pas encore fait l’objet à notre connaissance d’une consécration par la jurisprudence.

Charles-Emmannuel Prieur – Avocat au barreau de Paris

 

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