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Louboutin / Amazon : la Cour de justice de l’Union européenne sur les talons d’Amazon et ouvre la voie à une responsabilité inédite de la plateforme

10 février 2023

Alors que les règlements « Digital Services Act » et « Digital Market Act » ont été adoptés pour entériner la régulation des plateformes en ligne, la Cour de justice de l’Union européenne renforce de manière inédite la responsabilité des exploitants de places de marché.

Au terme de plusieurs questions préjudicielles formulées par la célèbre marque de chaussures à la semelle rouge transmises auprès du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, la Cour s’est interrogée sur l’incidence des offres à la vente par les exploitants de places de marché eux-mêmes sur la perception de l’origine des produits par les consommateurs.

Outre la possibilité d’engager la responsabilité des hébergeurs de contenus sur le fondement de l’article 14 de la directive e-commerce[1], dès lors qu’ils ont connaissance d’une activité ou information illicite, la Cour consacre la responsabilité des places de marché sur le fondement de « l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne[2], qui doit être interprété en ce sens que :

l’exploitant d’un site Internet de vente en ligne intégrant, outre les propres offres à la vente de celui-ci, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’Union européenne d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée, lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe, si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question, ce qui est notamment le cas lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments caractérisant la situation en cause, un tel utilisateur pourrait avoir l’impression que c’est ledit exploitant qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus dudit signe. Sont pertinents à cet égard les faits que cet exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site Internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur ladite place de marché, qu’il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces et qu’il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation des produits revêtus du signe en cause, des services complémentaires consistant notamment dans le stockage et l’expédition de ces produits. »

Dans cet arrêt de principe du 22 décembre dernier[3], la Grande chambre admet qu’un exploitant de plateforme puisse se voir imputer la responsabilité de l’« usage » par un tiers, au sens de l’article 9, d’un signe contrefaisant.

L’examen de cette responsabilité relève de l’appréciation des juridictions nationales de renvoi qui doivent prendre en compte la perception de l’offre de vente d’un consommateur « informé et raisonnablement attentif ».

En l’espèce, elle reconnaît que les communications commerciales émises par Amazon, dans la mesure où elles sont « uniformes », induisent une confusion pour le consommateur, qu’elles soient faites en son nom propre ou pour assister les vendeurs professionnels.

C’est donc le rôle plus ou moins actif joué par l’exploitant des sites de vente en ligne dans la publication et la communication des annonces contrefaisantes qui entraîne une potentielle confusion pour le consommateur.

En tout état de cause, la Cour aurait difficilement pu statuer différemment sans porter atteinte à la valeur de la marque européenne alors que le retrait de 32 millions d’annonces contrefaisantes a été relevé en 2021[4].

De plus, les effets de cet arrêt attendu demeurent mineurs pour le géant américain qui modifiera ses communications commerciales mais répondent au long et justifié combat des ayant droits pour faire reconnaître la responsabilité des plateformes.

Ce revirement est également l’occasion de saluer l’essentiel travail porté par l’Unifab pour la défense des ayant droits, la protection des marques et la régulation des services en ligne, notamment autour de l’adoption du « Digital Services Act ».

Par Anne-Marie Pecoraro, Corinne Khayat (associées) et l’équipe IP/IT du cabinet UGGC Avocats

Mots clés :

§  Propriété intellectuelle

§  Marques

§  Marques européennes

§  Contrefaçon

§  Responsabilité des plateformes

§  Communications commerciales

§  Economie numérique

§  Marques

 

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A32000L0031#:~:text=Conform%C3%A9ment%20%C3%A0%20l’article%2014,libert%C3%A9%20d’%C3%A9tablissement%20sont%20assur%C3%A9es.

[2] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32017R1001&from=FR

[3] https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=268788&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=27091

[4] https://www.unifab.com/presse/louboutin-1-amazon-0-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne-cjue-se-positionne-en-faveur-des-entreprises-creatrices-et-innovantes/