Un devoir de loyauté de plus en plus exigeant pour le dirigeant de société

13/03/2013

 

  • Par une décision de la chambre commerciale du 18 décembre 2012 ayant les honneurs d’une publication au bulletin de la cour de cassation, la cour de cassation renforce encore la portée de devoir de loyauté du dirigeant social. Il découle de l’analyse de la jurisprudence récente que le devoir de loyauté du dirigeant implique à la fois un devoir de transparence vis-à-vis des associés s’agissant de la captation de toute « opportunité d’affaire » liée à la société et une obligation de non concurrence vis-à-vis de la société qu’il dirige.

En l’espèce, le dirigeant d’une société par actions simplifiée constituée entre des médecins pour l’exploitation d’une clinique avait acquis avec son beau-frère notaire, par sociétés interposées, l’immeuble servant à son exploitation avant de céder ses actions aux autres associés, ces derniers ayant par ailleurs revendu quelques années après, la totalité des actions de la société à un tiers. Les anciens associés reprochèrent alors à l’ex dirigeant d’avoir fait l’acquisition de l’immeuble alors qu’il connaissait le projet des premiers d’acquérir ledit immeuble pour leur propre compte.
La cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 2 octobre 2011 aux motifs que « pour rejeter les demandes dirigées contre M. B., la cour d’appel retient, par motifs propres et adoptés, que si l’opération d’acquisition de l’immeuble litigieux a été mise en œuvre sans la moindre  transparence à l’égard des autres associés, la seule indélicatesse de M. B. dans son comportement ou la recherche à son seul profit d’une opération financièrement avantageuse ne suffisent pas à caractériser une faute de ce dirigeant envers ses associés » et qu’« en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que M. B., dirigeant de la société CEPS, avait laissé les autres associés dans l’ignorance de l’opération d’acquisition pour son compte personnel d’un immeuble que les autres associés entendaient acheter pour y exercer leur activité, ce dont il résultait que le dirigeant avait manqué à son devoir de loyauté envers eux ».

Quels sont les principaux enseignements de cette décision ?

  1. Le devoir de loyauté est lié à la fonction même de dirigeant

Dans la présente décision, il est particulièrement intéressant de noter que la chambre commerciale écarte expressément les articles 1382 et 1134 alinéa 3 du Code civil invoqués par le pourvoi au profit du visa des articles L. 227-8 et L. 225-251 du Code de commerce. Pour mémoire, l’article L. 225-251 du code de commerce est l’article qui prévoit que, s’agissant des sociétés  anonymes « les administrateurs et le directeur général sont responsables, individuellement ou solidairement selon les cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion » (l’article L. 227-8 dispose quant à lui en substance que l’article L. 227-8 est applicable au président et aux autres dirigeants des sociétés par actions simplifiée). Le choix de ce visa est révélateur de la volonté de la cour de cassation de lier le devoir de loyauté à la fonction même de dirigeant et non pas à la pure application des règles de la responsabilité civile.

Cette tendance de la cour de cassation avait été amorcée, pour les sociétés de personnes, avec l’important arrêt de la Chambre commerciale du 15 novembre 2011 par lequel la Cour de cassation sanctionna le gérant d’une société à responsabilité limitée sur le fondement de l’article L. 223-22 du Code de commerce (texte identique à l’article L. 227-8 précité mais s’appliquant aux société à responsabilité limitée) en raison d’un manquement à son devoir de loyauté et de fidélité pesant sur le gérant à l’égard de la société « lui interdisant de négocier, en qualité de gérant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité ».

  1. Le devoir de loyauté du dirigeant social ne se limite pas aux cessions de droits sociaux ni à une obligation de non concurrence

Jusqu’à présent le manquement du dirigeant social à son devoir de loyauté était essentiellement sanctionné dans deux cas :

– d’une part, les cessions de droits sociaux : depuis l’arrêt Vilgrain (Com. 27 février 1996, Bull. IV n°65) ce devoir prend essentiellement la forme d’une obligation d’information au profit des associés de la société généralement sur l’existence de négociations parallèles conduisant à une cession des droits sociaux sur la base d’une valorisation nettement supérieure. Cependant, l’arrêt Vilgrain avait pour fondement la réticence dolosive (article 1382 et 1126 du code civil), soit un fondement « civiliste » ;

– d’autre part, l’obligation de non concurrence : cette obligation de non concurrence des dirigeants vis-à-vis de leur société a fait l’objet d’une série de décisions depuis les années 60 : le dirigeant social ne peut ainsi pas créer une société concurrente de la société qu’il dirige (Cour de cassation chambre commerciale, plusieurs décisions : 11 février 1964, 24 février 1998, 12 février 2002) et l’arrêt du 15 novembre 2011 lui impose de s’abstenir de participer à la négociation d’un marché pour le compte d’une autre société dont il serait dirigeant.

L’arrêt du 18 décembre 2012 semble imposer quant à lui un véritable devoir de transparence du dirigeant vis-à-vis de ses associés sur l’ensemble des « opportunités d’affaire » dont il aurait, du fait de ses fonctions, la connaissance et qu’il souhaiterait capter à son seul profit. Il n’est pas nécessaire que la société soit directement concernée par l’opération envisagée.
En l’espèce, l’immeuble objet du litige était simplement l’immeuble loué par la clinique pour son exploitation et les associés avaient émis le souhait d’acquérir l’immeuble pour leur propre compte en donnant un mandat au dirigeant pour réaliser l’opération. Le dirigeant avait finalement acquis l’immeuble pour son propre compte (par le biais d’une interposition de sociétés, renforçant le caractère « déloyal » de l’opération). L’absence d’implication directe de la société était d’ailleurs l’un des motifs de la cour d’appel de Paris pour rejeter la demande de dommages et intérêts des associés à l’encontre du gérant (« une violation par M. B. se des obligations d’associé ou de membre du comité de direction de la société CEPS ne peut être retenue à son encontre  puisque ce n’est pas en sa qualité d’associé ou de dirigeant de cette société qu’il a agi en participant à l’opération d’acquisition par le biais d’un crédit-bail »). Cette motivation est rejetée par la cour de cassation.

L’étendue de devoir de transparence est cependant difficile à apprécier : en l’espèce, le dirigeant savait parfaitement que l’opportunité d’acquérir le bien immobilier était recherchée par ses associés puisqu’ils lui avaient conféré un mandat en ce sens. La solution aurait-elle été la même en l’absence d’un tel mandat ?

  1. Devoir de loyauté : devoir d’abstention et/ou devoir de transparence ?

Se dessine en réalité un devoir de loyauté à « deux visages » : d’une part, un devoir de loyauté vis à vis des associés, qui revêt la forme d’une obligation de transparence : cela concerne au premier chef les cessions de titres mais également  toute autre opportunité d’affaire directement ou indirectement liée à la société dont les associés auraient pu bénéficier et que le dirigeant souhaiterait capter à son seul profit.

D’autre part, un devoir de loyauté vis à vis de la société prenant la forme d’une obligation de non concurrence vis à vis de la société et donc d’un véritable devoir d’abstention (voir dans ce sens l’arrêt précité du 15 novembre 2011) : s’abstenir de créer une société concurrente, s’abstenir de participer (au profit d’une autre entité) à un marché dans le même domaine d’activité que la société dont il est dirigeant.

Samuel Schmidt / Léa Theveniaud – avocats au barreau de Paris

 

 

Sources

Cour de cassation, chambre commerciale, 18 décembre 2012, n°11-24305

Cour de cassation, chambre commerciale, 15 novembre 2011, n°10-15049

Cour de cassation, chambre commerciale, 27 février 1996, bulletin civil IV, n°65

Cour de cassation, chambre commerciale 11 février 1964, bulletin civil n°67

Cour de cassation, chambre commerciale 24 février 1998, n°96-12-638

Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2002, n°00-11602

Voir également « La captation des opportunités d’affaires et le droit des sociétés » Alain Couret et Bruno Dondero, JCPEn 2011, 1893.