Cessions d’actions : la réticence dolosive au secours du minoritaire trompé

08/11/2013
  • Une nouvelle décision de la Cour d’appel de Paris du 17 septembre 2013 (note 1) sanctionne le dol commis par le dirigeant d’une société lors de l’achat des titres d’un associé minoritaire alors qu’il était en négociations avancées avec un autre acquéreur pour la totalité du capital de la société pour un prix bien supérieur à celui offert audit minoritaire. Le principal intérêt de cet arrêt réside dans le fait qu’il attribue au minoritaire victime des agissements dolosifs du dirigeant majoritaire une réparation correspondant à la différence entre le prix qu’il aurait pu percevoir dans le cadre de l’opération globale de cession et le prix qu’il a effectivement perçu. C’est une entorse au principe régulièrement rappelé par la Cour de cassation selon lequel la réparation d’une perte de chance est « mesurée à la chance perdue » et ne peut « être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (note 2) .

Dans cet arrêt de la Cour d’appel de Paris, M.Y, actionnaire de la société BRG, a cédé le 30 mars 2007 par acte sous seing privé à M X actionnaire majoritaire et président de la société BRG la totalité de sa participation dans le capital.

Le 16 novembre de la même année la société Véolia Propreté a acquis de M. X la totalité de capital de la société BRG pour une valorisation globale de prés du triple de celle découlant de la cession effectuée par le minoritaire 6 mois avant (147 000 000 € contre 45 000 000 €).

Le cédant assigne M.X en réparation de son préjudice en ce qu’il a omis de mentionner lors de la cession l’existence de pourparlers concernant l’opération de novembre 2007. M.Y appuie son action sur le fondement de la réticence dolosive.

En première instance, le tribunal de commerce de Paris fait droit à la demande du cédant et condamne le cessionnaire au paiement de dommages et intérêts en compensation de la nullité de la cession pour un montant de 2 182 865 euros.

La Cour d’appel confirme le jugement en ce qu’il retient la réticence dolosive du dirigeant qui manque à son obligation de loyauté à l’égard des associés en « dissimulant une information de nature à influer sur son consentement ». A cet égard, en ce qui concerne la caractérisation du dol, il est intéressant de constater que la Cour d’appel rappelle « qu’il importe peu qu’à la date de signature de l’accord de négociation les audits d’acquisition n’aient pas été réalisés, ni les pourparlers en vue du prix entamés, dès lors que la seule dissimulation par le dirigeant cessionnaire à l’associé cédant de l’intérêt alors manifesté par un candidat potentiel au rachat de la totalité du capital de la société constitue un manquement à la loyauté entre associés de nature à vicier le consentement ».

Elle fonde l’évaluation du préjudice subi par l’associé minoritaire sur la perte de chance de ne pas avoir cédé ses titres à un meilleur prix et évalue la perte de chance à 100% de la plus-value de cession, ce qui peut paraître surprenant au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, dans la conception classique, la réalisation de la chance n’est jamais certaine. Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a précisé « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » censurant ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel accordant une réparation intégrale (note 3).

Cette formulation de la Cour de Cassation a été rappelée dans de nombreux arrêts relatifs à l’indemnisation de la perte de chance. Les Cours d’appel allouant une réparation intégrale du préjudice subi du fait de la perte d’une chance sont ainsi régulièrement censurées par la Cour de Cassation (note 4), cette dernière estimant qu’il n’est pas possible d’évaluer justement une situation qui n’a pas produit ses effets

Pour éviter la cassation, les magistrats de la Cour d’appel de Paris ont soigneusement motivé leur décision du 17 septembre 2013 en soulignant l’identité de l’acquéreur intéressé (appartenant au groupe Véolia), le souhait de ce dernier d’acquérir la totalité du capital en ce compris la part des minoritaires ainsi que la rapidité des négociations avec Véolia, conclues dans les 6 mois de l’accord de négociation.

Il n’est pas certain toutefois que ces arguments emportent la conviction de la chambre commerciale de la Cour de cassation car au moment de la première opération conclue entre le dirigeant et le minoritaire, l’opération avec Véolia est encore seulement potentielle et non pas certaine, et il s’agit donc bien de réparer la perte d’une chance, même sérieuse. Cela devrait logiquement conduire les magistrats de la Haute Cour à casser cet arrêt au regard de sa jurisprudence antérieure sauf à opérer un éventuel revirement.

Samuel Schmidt

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Note 1 : Cour d’appel de Paris. Pôle 5 Chambre 8 No Répertoire général : 12/14712

Note 2 : Cass 1ère civ 9 avril 2002 n°00.13.314.

Note 3 : Cass. com., 15 févr. 2011, n° 10-11.614

Note 4 : Cass. 2ème Civ 9 avril 2009 n°08-15.977 – Cass 1ère Civ 19 juin 2013 n°12-19.195 – Cass 3ème Civ 22 septembre 2009 n°08-18.167 – Cass Com 6 septembre 2011 n°10-15.525 – Cass Com 06 mai 2003 n°00-10.502.