CJUE : interdiction de la reproduction de la forme ou de l’apparence d’un produit protégé par une AOP s’il induit en erreur le consommateur sur son origine

21/01/2021

Au niveau européen, les produits agricoles, forestiers et de la mer peuvent bénéficier d’un signe d’identification de la qualité et de l’origine grâce aux appellations d’origine protégées (ci-après « AOP ») ou aux indications géographiques protégées (ci-après « IGP »).

Les AOP et IGP sont des titres supranationaux dont la dénomination sert à identifier un produit ou une denrée alimentaire originaire d’un lieu déterminé, d’une région voire d’un pays.

En l’espèce, l’affaire portée devant la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») concerne le Morbier.

Le Morbier est un fromage fabriqué dans le Jura qui bénéficie d’une AOP[1] depuis une vingtaine d’années. Il est caractérisé par la présence d’une raie noire – qui le divise horizontalement en deux. Cette caractéristique est explicitement mentionnée dans la description du produit contenue dans le cahier des charges de cette AOP.

En 2013, le Syndicat interprofessionnel de défense du Morbier (ci-après « le Syndicat ») assigne la Société Fromagère du Livradois devant le tribunal de grande instance de Paris au motif qu’elle porte atteinte à l’AOP « Morbier » et qu’elle commet des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et en commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du Morbier couvert par l’AOP.

Son action est rejetée.

La Cour d’appel de Paris confirme ce rejet. Selon elle, une AOP vise à protéger non pas l’apparence d’un produit ou ses caractéristiques, mais sa dénomination, de telle sorte qu’elle n’interdit pas de fabriquer un produit selon les mêmes techniques.

Le Syndicat se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation saisit la CJUE d’une question préjudicielle pour savoir comment interpréter les articles 13 §1 sous d) des règlements n°510/2006 et 1151/2012 (ci-après « les règlements ») relatifs au champ de la protection couvert par une AOP : la reprise des caractéristiques physiques d’un produit couvert par une AOP sans utilisation de la dénomination enregistrée peut-elle constituer une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

  • En premier lieu, la CJUE commence son exégèse en disant que les articles 13 §1 a) à c) des règlements contiennent une énumération graduée d’agissements interdits. Elle observe ensuite qu’ils ne se limitent pas à interdire l’utilisation de la dénomination enregistrée. Elle en déduit que les articles 13 §1 sous d) des règlements visent tous les agissements autres que ceux interdits par les articles 13 §1 sous a) et c) et pouvant induire le consommateur en erreur quant à l’origine du produit en cause.
  • En second lieu, la CJUE observe que, si la protection prévue par les règlements a pour objet la dénomination enregistrée et non le produit, les AOP sont protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines qualités et certaines caractéristiques.

Dès lors, la reproduction de la forme ou de l’apparence d’un produit couvert par une AOP, sans que cette AOP ne figure ni sur le produit en cause, ni sur son emballage peut entrer dans le champ d’application des articles 13 §1 sous d).

En tout état de cause, la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une AOP peut être interdite lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette AOP.

La CJUE précise que pour procéder à une telle appréciation, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents notamment les modalités de présentation du produit au public (i) les modalités de commercialisation du produit (ii), le contexte factuel (iii).

En l’espèce, la CJUE a considéré que la raie noire séparant le fromage en deux à l’horizontal était bien un élément de l’apparence du produit couvert par la dénomination enregistrée et que sa reproduction pouvait amener le consommateur à croire que le produit contenant cette reproduction était couvert par l’AOP « Morbier ».

La commercialisation d’un tel fromage doit donc être interdite.

Par l’équipe IP-IT du Cabinet UGGC Avocats

Références de l’arrêt : CJUE, 17 décembre 2020, C-490/19

Source : Curia


[1] En matière d’AOP, les qualités ou caractéristiques du produit ou de la denrée alimentaire doivent essentiellement ou exclusivement être attribuées au milieu géographique en question, et, toutes les étapes de production doivent avoir lieu dans une aire géographique délimitée (Article 2 du Règlement (CE) n°510/2006).