Condamnation d’Artprice.com pour contrefaçon et concurrence parasitaire

23/07/2013

Par arrêt en date du 26 juin 2013, la Cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 1 – arrêt disponible sur www.legalis.net) a condamné la société Artprice.com pour avoir contrefait le catalogue édité par une société de ventes volontaires et représenté illégalement les photographies d’œuvres qui s’y trouvaient reproduites.

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Leader mondial de l’information sur le marché de l’art, la société Artprice.com exploite une base de données en ligne de 25 millions d’indices. Cette base de données reproduit de nombreux catalogues de maisons de vente qui lui sont adressés par ces dernières et qui ont été intégralement numérisés.

Considérant que la société Artprice.com portait atteinte à leurs droits d’auteur et commettait des actes de concurrence déloyale et parasitaire à leur encontre du fait de la reproduction sans autorisation des catalogues et des photographies les illustrant, Monsieur Stéphane Briolant, photographe professionnel et la société de ventes volontaires Camard et associés avaient fait assigner la société Artprice.com devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 30 novembre 2010, la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris avait condamné la société Artprice.com à payer à la société Camard et associés la somme de 100 000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme et fait interdiction à la société Artprice.com de reproduire sur son site internet les catalogues de la société Camard et associés ainsi que les contenus des dits catalogues, en entier ou par extraits.

Les premiers juges avaient cependant rejeté les demandes du photographe et de la société de vente fondée sur le droit d’auteur estimant que les photographies et les catalogues litigieux ne présentaient pasun caractère original suffisant.

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Cette appréciation est cependant remise en cause par la Cour d’appel de Paris qui va reconnaître, aux termes d’une décision très soigneusement motivée, que certains des catalogues de la société Camard et certaines des photographies litigieuses sont protégeables par le droit d’auteur.

S’agissant tout d’abord des catalogues édités par la société de ventes

Après avoir rappelé qu’un catalogue peut se voir conférer le caractère d’œuvre protégeable au sens de l’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle dès lors que « le travail de sélection, de classement et de présentation reflète la personnalité de l’auteur », la Cour relève que certains des catalogues argués de contrefaçon « comportent une présentation et une biographie des auteurs des œuvres y figurant avec leur photographie ; que chaque objet est présenté avec une description allant au-delà d’une simple information purement descriptive et qui tend à le replacer dans son contexte historique, culturel ou social ; que les catalogues d’objets d’art décoratif présentent les mobiliers en vente dans leur contexte original à l’aide de photographies anciennes des pièces où ils étaient exposés ; que les catalogues d’affiches présentent celles-ci par périodes ou par écoles ou encore par motifs ou par régions (pour les affiches de tourisme) ; qu’enfin les couvertures de ces catalogues, par le choix de la photographie d’un des objets y figurant et sa mise en page s‘étendant à la tranche et au dos de la couverture, reflètent une recherche esthétique particulière ».

La Cour en déduit que l’originalité de ses catalogues « se manifeste dans leur composition, la mise en œuvre des lots présentés selon un certain ordre et de façon méthodique, dans le choix des citations, des notices biographiques et leur rédaction, présentent une physionomie propre qui les distingue des autres catalogues de ventes aux enchères et qui traduit un parti pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur ».

La Cour va évaluer le préjudice résultant des actes de contrefaçon de droit d’auteur commis par la société Artprice.com à la somme de 120 000 €, cette évaluation tenant compte, conformément aux dispositions de l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, tout à la fois du manque à gagner pour la maison de ventes et des bénéfices réalisés par la société Artprice.com, la Cour soulignant à cet égard que cette dernière « tire un bénéfice certain de la mise en ligne de ces catalogues puisqu’elle fait payer à ses clients, sous forme d’abonnements, l’accès à sa base de données par le biais de son service “artprice images” ; qu’elle revendique à ce titre 1 300 000 abonnés et un chiffre d’affaires annuel pour ce service de 1 314 619 € ». ;

S’agissant des photographies reproduites dans les catalogues

Si Code de la propriété intellectuelle prévoit dans son article L. 112-2 9e, que sont notamment considérées comme œuvres de l’esprit au 9e de l’article L. 112-2, « les photographies et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie», toutes les photographies ne sont pas susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur : la Cour de cassation rappelle régulièrement que ne sont cependant protégeables par le droit d’auteur que les photographies qui, individuellement, répondent aux conditions de protection et notamment à la condition d’originalité.

Au cas particulier, la Cour d’appel de Paris s’est efforcée de distinguer celles des photographies qui pouvaient bénéficier de la protection par le droit d’auteur de celles qui, « en raison de leur caractère purement technique et informatif », (pour l’essentiel les photographies de tableaux et de tapis), relevaient du simple savoir-faire du photographe.

Après avoir relevé que Monsieur Briolant établissait bien être l’auteur des photographies litigieuses -la Cour relève à cet égard que le photographe détenait non seulement les fichiers numériques JPEG de ces photographies mais également les fichiers originaux au format RAW et TIF avant leur transformation en fichiers JPEG- la Cour d’appel énonce qu’il ne s’est pas contenté de réaliser une prise de vue banale des objets ainsi fixés par lui, mais qu’il a effectué une recherche particulière de leur positionnement et de leur cadrage : « le positionnement des objets a fait l’objet de choix esthétiques particuliers, plusieurs objets pouvant figurer sur la même photographie en opposition ou en complémentarité les uns par rapport aux autres (notamment pour des meubles ou des ensembles de table), créant ainsi une dynamique particulière ;[…] le cadrage et l’angle de prise de vue des objets (en particulier les meubles et les accessoires de la maison) fait également l’objet de choix esthétiques arbitraires, les objets n’étant pas uniquement photographiés platement de face mais de biais ou à distance ;[…] les photographies sont prises en studio et font également l’objet d’une recherche particulière dans le jeu des ombres et de la lumière par l’usage de flash appropriés créant, notamment pour les meubles, des ombres portées soulignant l’objet ainsi photographié ;[…] les objets sont photographiés sur un fond neutre mais faisant l’objet de dégradés particuliers également destinés à distinguer et à mettre en valeur l’objet photographié ».

La Cour relève enfin que l’originalité de certaines photographies s’infère du travail de post-production réalisé par le photographe (« M. Stéphane Briolant (qui) produit les étapes successives de l’élaboration de ses photographies, d’un travail particulier de post production tendant à retravailler informatiquement les photographies à l’aide de logiciels spécialisés afin notamment de calibrer les couleurs et les contrastes, en nettoyant si nécessaire le fond par l’effacement d’éléments superflus ou parasites »).

Rappelant que le préjudice économique subi par le photographe doit être déterminé en fonction de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre pour la publication de ses photographies sur internet et que cette évaluation peut être fixée en considération du barème indicatif de l’Union des photographes créateurs la Cour d’appel condamne la société Artprice.com à lui payer une somme de 544 298 € de ce chef.

Le photographe se voit par ailleurs allouer une somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de ce que les plupart de ses photographies étaient reproduites sur le site artprice.com sans la mention de son nom et de sa qualité d’auteur.

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La société Artprice.com a fait savoir qu’elle entendait non seulement se pourvoir en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris mais également déposer de nouvelles plaintes pénales notamment pour escroquerie au jugement.