Doubles poursuites en matière de pénal boursier : le Conseil Constitutionnel tranchera

10/02/2015

Flash actuCYMLe débat judiciaire portant sur la pratique des doubles poursuites en matière d’infractions boursières a déjà été évoqué sur ce blog (http://contentieux-et-resolution-des-litiges.uggc.com/2014/12/01/droit-penal-boursier-une-nouvelle-qpc-transmise-a-la-cour-de-cassation/http://contentieux-et-resolution-des-litiges.uggc.com/2014/10/03/la-double-poursuite-des-infractions-boursieres-condamnee-par-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme/).

Pour mémoire, il sera rappelé que, de façon générale, les personnes poursuivies devant la Commission des Sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF), par exemple pour un manquement d’initié, se trouve également poursuivi, devant le juge pénal, pour les mêmes faits, alors qualifiés de délit d’initié.

Cette pratique a été condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt Grande Stevens c. Italie du 4 mars 2014[1], sur le fondement du principe européen du « Non bis in idem ».

La constitutionnalité de ces doubles poursuites sera examinée le 3 mars 2015 par le Conseil Constitutionnel, ce dernier étant saisi de QPC « jumelles », déposées par la Défense dans les dossiers dits « EADS » et « Oberthur Technologies ».

Ces QPC portent d’une part, sur les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du Code monétaire et financier et, d’autre part, sur l’article 6 du Code de procédure pénale tel qu’interprété de façon constante par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Le 17 décembre 2014, cette dernière avait ainsi statué dans le cadre du dossier EADS :

  • Sur l’article 6 du Code de procédure pénale[2]:

« Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que l’article 6 du code de procédure pénale, tel qu’interprété par une jurisprudence constante, qui n’exclut pas le cumul de poursuites pénales et administratives pour de mêmes faits, est susceptible de porter une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem ; »[3]

  • Sur les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du Code monétaire et financier[4]:

« Attendu qu’à supposer que ces dispositions ont été déclarées intégralement conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 mars 2014 (Grande Stevens et autres c. Italie) est de nature à constituer un changement de circonstances ;

Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que les dispositions contestées, qui permettent l’exercice de poursuites pénales pour des faits ayant fait l’objet d’une décision définitive par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, sont susceptibles de porter une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem ; »

Le 28 janvier 2015, la même chambre criminelle a statué dans le même sens, dans le cadre du dossier Oberthur Technologies[5] :

« Attendu que les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure ;

Attendu que, d’une part, l’article 6 du Code de procédure pénale, tel qu’interprété par une jurisprudence constance, n’a pas été déjà déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel et, d’autre part, à supposer que les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du Code monétaire et financier ont été déclarés intégralement conformes à la Constitution par la décision du Conseil Constitutionnel n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 4 mars 2014 (Grande Stevens et autres c. Italie) est de nature à constituer un changement de circonstances ;

Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que les dispositions contestées, qui permettent l’exercice de poursuites pénales pour des faits ayant fait l’objet d’une décision définitive par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, sont susceptibles de porter une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem ». 

Le Conseil Constitutionnel devra donc dire si les doubles poursuites pénales et boursières sont compatibles avec les principes constitutionnels.

La décision du Conseil Constitutionnel devrait être rendue avant la mi-mars 2015.

Qu’en sera-t-il du droit positif si le Conseil Constitutionnel répond « oui » alors que Cour européenne des Droits de l’Homme a déjà répondu « non » ?

[1] N° de requêtes 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10.

[2] Arrêt n° 7607, n° 14-90.042 – https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/questions_prioritaires_constitutionnalite_3396/7607_17_30722.html

[3] Notons au passage que la Chambre criminelle accepte à présent de soumettre sa jurisprudence au Conseil Constitutionnel.

[4] Arrêt n° 7608 – n° 14-90.043 –

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/questions_prioritaires_constitutionnalite_3396/7608_17_30721.html

[5] Arrêt n° 652 – n° 14-90.049.