Eclairage et regard récent de la Cour de cassation sur la Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux (Cass. 1ère civ., 19 décembre 2012, n°12-16633)

05/02/2013

La ténacité de certains plaideurs a le mérite de faire avancer certaines questions de droit, et notamment en l’espèce la question en droit international privé de la loi applicable au régime matrimonial. Il s’agit en effet de la troisième décision de la Cour de cassation dans cette affaire, et surtout de la deuxième décision ayant pour objet de trancher la question de la loi applicable au régime matrimonial de deux époux, mariés en Syrie en 1995 selon le rite chrétien grec orthodoxe, et ayant fixé leur résidence habituelle commune en France après le mariage.

Il est vrai que l’enjeu est important puisque l’époux, qui devant les juges du fond, avait au départ pu obtenir d’être soumis au régime syrien de la séparation de biens, s’est trouvé, suite la première décision de la Cour de cassation, marié sous le régime de la communauté légale français.

La position ayant été ensuite confirmée par la Cour d’appel de renvoi, l’époux a donc à nouveau tenté de remettre en cause cette solution, en soumettant à nouveau la question à la Cour de cassation, mais sur le fondement de moyens différents.

Une analyse de ces décisions, y compris la plus récente du 19 décembre 2012, permet de rappeler certains principes fondamentaux régissant la détermination de la loi applicable au régime matrimonial pour des couples présentant des éléments d’extranéité et de dresser ainsi un vadémécum des principaux articles de la Convention de La Haye.

  1. 1.    Le caractère universel de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 (article 2 de la Convention de La Haye)

La première décision de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 12 novembre 2009, n° 08-18.343) dans cette affaire, a permis à la Haute-juridiction de rappeler le caractère universel de la Convention de La Haye.

En effet, la Cour d’appel avait considéré qu’en l’absence de contrat de mariage, de convention franco-syrienne applicable à la situation, et de ratification par la Syrie de la convention de La Haye du 14 mars 1978, il convenait de rechercher en quel lieu les époux avaient eu la volonté de localiser leurs intérêts pécuniaires, au moment du mariage, et d’en déduire que la loi syrienne devait régir leur régime matrimonial.

De façon attendue, la Cour de cassation casse cette décision en rappelant qu’il résulte de de l’article 2 de la convention de La Haye, applicable à tous les couples mariés après le 1er septembre 1992, qu’elle s’applique même si la nationalité, la résidence habituelle des époux ou la loi applicable en vertu de cette convention ne sont pas celles d’un État contractant. Cette application conduisait en l’espèce à soumettre les époux au régime français de la communauté légale, la France étant le lieu de leur première résidence habituelle commune après le mariage.

On peut préciser également qu’ayant omis de statuer au départ sur ce point, la Cour a ensuite précisé dans une deuxième décision que la cassation d’un arrêt quant à la détermination du régime matrimonial des époux entraîne nécessairement la cassation de cette même décision quant à la fixation de la prestation compensatoire (Cass. 1ère civ., 9 juin 2010, n° 08-18.343).

  1. 2.    Un acte étranger dénommé « contrat de mariage » ne constitue pas nécessairement une stipulation expresse de désignation de loi applicable au régime matrimonial (articles 3 et 11 de la Convention de La Haye)

 Dans la même affaire, la récente décision de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 19 décembre 2012, n°12-16633) rappelle tout d’abord les principes applicables en matière de désignation de la loi applicable au régime matrimonial.

 L’époux soutenait en effet qu’une loi avait été désignée par les époux car selon lui le mariage confessionnel (chrétien grec orthodoxe) équivalait à un contrat de mariage impliquant la soumission des époux « au statut personnel séparatiste correspondant, assimilable à la séparation de biens ».

La Cour de cassation, sur le fondement des articles 3 et 11 de la Convention de La Haye, rejette le pourvoi, et approuve les juges du fond d’avoir considéré que l’acte syrien dénommé « contrat de mariage » par l’époux ne constituait nullement une désignation de loi applicable. En effet, la Cour relève qu’aucune loi n’avait été désignée par les époux puisqu’une telle désignation n’avait pas fait l’objet d’une stipulation expresse et ne résultait pas non plus « indubitablement » des dispositions du contrat de mariage. La Cour en conclut qu’il n’existait donc aucun indice révélant avec évidence le choix des époux.

La Cour de cassation avait déjà eu à se prononcer sur cette question, notamment récemment s’agissant d’un acte de mariage musulman avec stipulation de dot. Elle avait considéré que cet acte ne valait pas choix exprès d’un régime matrimonial musulman de séparation de biens, cet acte ne pouvant être qualifié en contrat de mariage au sens du droit français. (Civ. 1ère, 28 mars 2012, n° 11-12940 11-12995)

La difficulté vient de la différence de conception du mariage entre le droit musulman et le droit français : ainsi le contrat de mariage que signent les époux musulmans ne contient qu’un engagement matrimonial et des dispositions déterminant exclusivement les conditions du mariage et n’est aucunement assimilable à un contrat de mariage au sens du droit français.

  1. 3.    A défaut de choix, l’application de la loi interne de l’Etat de la première résidence habituelle des époux (article 4 de la Convention de La Haye)

Dans ces conditions, il convenait de soumettre les époux à la loi de la première résidence habituelle en application de l’article 4 de la Convention de La Haye. La Cour de cassation applique ainsi à nouveau la solution mise en œuvre précédemment dans sa décision du 12 novembre 2009, en confirmant la soumission des époux au régime français de la communauté légale.

L’article 4 de la Convention de La Haye dispose en effet qu’à défaut de désignation de loi applicable avant le mariage, leur régime matrimonial est « est soumis à la loi interne de l’Etat dans lequel ils ont établi leur première résidence habituelle ».

L’article 4 prévoit donc un rattachement objectif à la première résidence habituelle et ne renvoie plus à la volonté implicite comme le prévoyait auparavant le droit commun. En outre la notion de résidence habituelle est une notion matérielle n’impliquant aucunement la recherche de l’intention des parties.

En l’espèce, l’épouse avait rejoint son mari en France où il résidait depuis 1974, sept jours après son mariage. Les époux étaient donc bien mariés sous le régime français de la communauté légale.