Episode 1 – Le droit d’auteur en campagne

22/02/2022

Le Cabinet UGGC Avocats se propose de décrypter la campagne présidentielle sous le prisme de la propriété intellectuelle et des données personnelles, à raison d’un épisode, tous les 15 jours.

1er épisode : Le droit d’auteur en campagne.

Pour ce premier épisode, l’équipe propriété intellectuelle du Cabinet revient sur la diffusion de deux vidéos d’annonce de candidature à la présidentielle qui ont, chacune à leur manière, fait entrer, le droit d’auteur en campagne puisque :

  1. La première intègre des extraits de films sans autorisation des ayants droit ;
  2. La seconde montre une candidate devant la pyramide du Louvre sans autorisation du musée du Louvre.

Notre propos n’a aucune vocation partisane. Il se limite à une analyse juridique de ces deux faits d’actualité qui permettent, en définitive, de rappeler l’étendue des prérogatives conférées par le droit d’auteur quand certains le présentent comme un droit de censure venant limiter la liberté d’expression (dont on ne saurait se passer a fortiori en période électorale …).

I – SUR L’INTEGRATION DANS LE CLIP DE CAMPAGNE D’UN CANDIDAT, D’EXTRAITS DE FILMS, SANS AUTORISATION DES AYANTS DROIT 

Le clip de campagne du candidat de « Reconquête ! » aurait reproduit 114 séquences[1]de films sans autorisation des ayants droit, notamment des scènes du film Jeanne d’Arc (1999) de Luc Besson ou du film Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil [2].

Or, en vertu du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite[3].

En d’autres termes, toute utilisation d’une œuvre sans autorisation est nécessairement un acte de contrefaçon, indépendamment, par ailleurs, de la bonne foi du contrefacteur[4].

Sur ce fondement, le candidat et son parti « Reconquête ! » ont été assignés devant le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de droit d’auteur, notamment par la société Gaumont ; et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques – société de gestion collective plus connue sous son acronyme : « SACD ».

Lors de l’audience qui s’est tenue le 27 janvier 2022, le candidat aurait invoqué l’exception de citation[5]pour justifier le fait qu’aucune autorisation n’a été demandée aux ayants droit.

Cependant, et sans préjuger de la solution du Tribunal judiciaire (dont le délibéré est fixé au 4 mars 2022), il nous semble que ce moyen de défense n’est pas opportun. 

En effet, l’exception de citation est admise à des conditions strictement définies tenant à (i) l’objet de l’emprunt ; (ii) son ampleur ; (iii) sa reconnaissance et (iv) sa finalité – étant précisé que ces conditions sont cumulatives :

  1. S’agissant de l’objet de l’emprunt, il n’existe pas de définition légale de la citation, de sorte qu’il faut s’en remettre à la jurisprudence qui précise que la citation est une reproduction (ou représentation, le cas échéant) partielle à l’identique[6].
  1. S’agissant de l’ampleur de l’emprunt, celui-ci doit être bref. Cette brièveté est appréciée par rapport à la longueur totale de l’œuvre dans laquelle la citation est incorporée.

Ainsi, n’ont pas été considérés comme une courte citation :

  • Un extrait de film de 17 minutes et 36 secondes inclus dans une émission de 58 minutes[7] ;
  • La représentation d’images d’un logiciel pendant 3 secondes dans un film publicitaire, soit un dixième de la durée totale dudit film[8].
  1. S’agissant de la reconnaissance de l’emprunt, le nom de l’auteur et la source doivent être indiqués (dans le générique par exemple).
  1. S’agissant de la finalité de l’emprunt, celle-ci doit être justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, ou d’information de l’œuvre à laquelle l’extrait est incorporé.

Au cas présent, au moins 2 conditions semblent faire défaut : :

  • Aucune référence au nom de l’auteur, ni à la source de l’extrait n’a été intégrée dans le clip et son générique ;
  • L’objet du clip est d’annoncer une candidature à la présidentielle, dès lors il nous semble que la citation ne peut pas être justifiée par son caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information.

Ce faisant, l’exception de citation ne devrait pas être admise et une autorisation des ayants droit était requise.

Les ayants droit pourront également invoquer, en tout état de cause, une atteinte à leur droit moral pour l’utilisation de leur œuvre à des fins politiques et être indemnisés à ce titre[9].

II – SUR LE FAIT DE FILMER UNE CANDIDATE, DEVANT LA PYRAMIDE DU LOUVRE, SANS AUTORISATION DU MUSEE DU LOUVRE

La candidate du Rassemblement national a choisi pour lancer sa campagne sur les réseaux sociaux de publier une vidéo filmée dans la cour du Louvre, avec pour arrière-plan la Pyramide.

On rappellera que le musée du Louvre est cessionnaire exclusif de l’ensemble des droits patrimoniaux relatifs à la pyramide conçue par l’architecte Ieoh Ming Pei.

A ce titre, les représentations ou reproductions de l’image de la Pyramide[10]doivent faire l’objet d’une autorisation préalable du musée du Louvre.

Ainsi, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de la Pyramide faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite.

Toute vidéo ou photographie de la Pyramide est-t-elle pour autant illicite ?

Non.

En effet, l’exception de panorama permet à toute personne physique de reproduire ou représenter une œuvre architecturale, placée de manière permanente sur la voie publique[11].

Ainsi, une personne physique peut tout à fait prendre et poster des photos de la Pyramide du Louvre sur les réseaux sociaux sans être poursuivie au motif qu’elle n’aurait pas demandé d’autorisation aux ayants droit.

La solution est différente s’agissant des personnes morales pour qui l’exception n’a jamais vocation à s’appliquer (les exceptions au droit d’auteur étant d’interprétation stricte).

Au cas présent, à considérer que la vidéo a été filmée par le parti politique de la candidate, c’est-à-dire par une personne morale, l’exception de panorama n’aurait pas vocation à s’appliquer.

Il y a lieu de s’interroger subsidiairement sur la pertinence d’invoquer la théorie de l’accessoire.

Selon la théorie de l’accessoire, lorsque l’œuvre de l’esprit n’est pas le sujet principal de l’image, mais en constitue le plan secondaire, le droit exclusif de son auteur est limité et l’autorisation préalable de celui-ci n’est plus nécessaire.[12]

D’une manière générale, la jurisprudence procède à une analyse in concreto de la place qu’occupe l’objet protégé par le droit d’auteur, tant sur le plan purement visuel que sur le plan intellectuel.

  • Sur le plan visuel, la candidate apparait en premier plan et la pyramide du Louvre, en second plan, mais d’une manière visible ;
  • Sur le plan intellectuel, la candidate a indiqué, dans sa publication, vouloir revenir sur « le lieu où le quinquennat d’Emmanuel Macron a commencé », dès lors, le fait de filmer la candidate dans la cour du Louvre et devant la Pyramide n’est pas fortuit. 

Pour ces raisons, la théorie de l’accessoire ne semble pas pouvoir être valablement invoquée.

Aucune exception n’ayant vocation à s’appliquer, il nous semble qu’une autorisation du musée du Louvre était requise, même si ce dernier ne s’est pas encore prononcé sur les suites qu’il souhaite donner à la diffusion de la vidéo son autorisation.

Les héritiers de l’architecte pourraient, par ailleurs, invoquer, en tout état de cause, leur droit moral pour obtenir le retrait de la vidéo des réseaux sociaux.

Du reste, la vidéo est toujours accessible sur les réseaux sociaux de la candidate, notamment sur Instagram – ce qui pose, en dernier lieu, la question de la responsabilité des plateformes en cas de diffusion d’un contenu contrefaisant. En effet, en vertu de l’article 17 de la directive Droit d’auteur[13], Instagram accomplit juridiquement un acte de communication au public pour le contenu téléversé par ses utilisateurs, ce qui le contraint en principe à retirer un contenu contrefaisant.

Prochain épisode, dans 15 jours ….

L’équipe propriété intellectuelle du Cabinet UGGC Avocats

Mots-clefs : droit d’auteur, droits patrimoniaux, droits moraux, campagne présidentielle, liberté d’expression, exception, clip de campagne, contrefaçon, ayants droit, candidats à la présentielle

[1] D’après le décompte effectué par R. Imbach, R. Geoffroy, P. Breteau, A. Maad dans « Le clip de campagne d’Eric Zemmour décortiqué : 114 séquences « empruntées » et quelques contresens », Le Monde, 3 décembre 2021, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/12/03/le-clip-de-campagne-d-eric-zemmour-decortique-114-sequences-empruntees-et-quelques-contresens_6104627_4355770.html.

[2] S. Laurent, « Eric Zemmour face aux ayants droit des images utilisées dans son clip de lancement de campagne », Le Monde, 27 janvier 2022, https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/27/justice-eric-zemmour-face-aux-ayants-droit-des-images-utilisees-dans-son-clip-de-lancement-de-campagne_6111287_6059010.html.

[3] Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle.

Pour une application à la reproduction d’une photographie de scène de film, voir Civ. 1ère, 3 juin 1997, n°95-14.664.

[4] Civ. 1ère., 29 mai 2001.

[5] Article L. 122-5-3°a) du Code de la propriété intellectuelle.

[6] CA Paris, 4e ch., 9 nov. 1989: JurisData n° 1989-025328.

[7] TGI Paris, 14 septembre 1994.

[8] Paris, 22 septembre 1988.

[9] Article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.

[10] Considérée comme une œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 112-2 7° du Code de la propriété intellectuelle.

[11] Article L. 122-5-11° du Code de la propriété intellectuelle.

[12] Com., 15 mars 2005, n°03-14.820 : « dans les vues en cause, l’œuvre de MM. X… et Y… se fondait dans l’ensemble architectural de la place des Terreaux dont elle constituait un simple élément, la cour d’appel en a exactement déduit qu’une telle présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public ».

[13] Directive (UE) 2019 du Parlement européen et du conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directive 96/9/CE et 2001/29/CE : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019L0790&from=DA.