Exploitation de l’image des biens des domaines publics et privés : principe de liberté, sous réserves

22/01/2021

Le Cabinet revient sur l’exploitation, notamment commerciale, de l’image des biens appartenant aux domaines public et privé. Le Conseil d’État et la Cour de cassation en ont érigé sa liberté en principe, sous réserve des exceptions législatives existantes. Encore faut-t-il que l’œuvre soit également libre de droits d’auteur.

  • Exclusion du droit de propriété de l’État sur l’image des biens publics

Le domaine public est constitué des biens appartenant à une personne publique (notamment l’État, une collectivité territoriale ou établissement public) qui sont affectés soit à l’usage direct du public, soit à un service public s’ils font l’objet d’un aménagement indispensable à cette fin (article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques).

Peuvent ainsi notamment être concernés les hôtels de ville, mairies, musées et bibliothèques publics, fontaines, voies et espaces publics affectés à la circulation.

Toute personne peut-elle librement capturer l’image de l’un de ces bâtiments par photographie ou vidéo et l’exploiter, par exemple de façon publicitaire ?

Cette question en appelle à la fois au droit public et au droit d’auteur.

Le Conseil d’État, saisi de cette question en 2018, a estimé que l’image des bâtiments publics ne faisant pas l’objet d’un droit de propriété au profit des personnes publiques, son usage doit demeurer libre, même lorsqu’il est réalisé à des fins commerciales[1].

Il a plus précisément considéré :

  • d’une part que les personnes publiques ne disposaient d’aucun « droit exclusif » sur l’image des biens leur appartenant, faisant ainsi obstacle à ce que cette image constitue, en elle-même, une dépendance du domaine public ;
  • et, d’autre part, que ni la prise de vues d’un bien du domaine public en tant que telle[2], ni l’utilisation à des fins commerciales de ces images ne pouvaient être regardées comme un usage privatif dudit domaine, seul usage à même de justifier une autorisation préalable et la perception d’une redevance.

La personne publique propriétaire du bâtiment ne peut donc en principe s’opposer à l’exploitation de son image. Tout au plus peut-elle, comme tout propriétaire, demander réparation du préjudice éventuellement subi lorsque cette utilisation lui a causé un trouble anormal.

En 2016 le législateur, par souci de valorisation économique, a toutefois posé une exception à cette règle stricte[3], en soumettant l’exploitation de l’image des domaines nationaux à l’autorisation du gestionnaire du domaine – qui, selon le Conseil constitutionnel, ne peut être refusé que si l’exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l’image de ce bien[4] – ainsi que, le cas échéant, au paiement d’une redevance.

A ce jour, cette exception concerne uniquement : le Domaine de Chambord (Loir-et-Cher) ; le Domaine du Louvre et des Tuileries (Paris) ; le Domaine de Pau (Pyrénées-Atlantiques) ; le Château d’Angers (Maine-et-Loire) ; le Palais de l’Élysée (Paris) ; ainsi que le Palais du Rhin (Bas-Rhin)[5].

L’exploitation de l’image des biens du domaine public doit cependant, en tout état de cause, tenir compte d’éventuels droits d’auteur existants sur ces biens, tels que ci-après définis.

  • Exclusion d’un droit de propriété privé sur l’image de ses biens

La Cour de cassation avait jugé dès 2004, s’agissant des biens privés – ne relevant donc pas du domaine public ci-dessus défini – « que le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ».

La Cour ajoute que le propriétaire « peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal »[6], un tel trouble pouvant notamment être constitué par une atteinte à la vie privée[7].

Ainsi, l’exploitation de l’image des biens privés – comme, par exemple, la photographie d’un hôtel – est en principe libre, sous l’importante réserve des droits d’auteur pouvant s’y appliquer.

  • Propriété intellectuelle de l’auteur des bâtiments publics et privés

Pendant la période de protection par les droits d’auteur, la propriété intellectuelle protège les œuvres de l’esprit « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle), à condition qu’elles soient originales. Cette propriété incorporelle se distingue de la propriété du support physique de l’œuvre.

L’architecte d’un bâtiment public, le peintre en ayant réalisé la façade, le sculpteur d’une fontaine placée sur une place publique peuvent ainsi parfaitement revendiquer leurs droits d’auteur sur leurs œuvres respectives (le bâtiment, la façade, la fontaine), à condition que celles-ci portent l’empreinte de leur personnalité.

Cette propriété intellectuelle est distincte du droit de propriété s’exerçant sur l’exemplaire physique de l’œuvre : la première appartient à l’auteur de l’œuvre (l’architecte, le peintre ou encore le sculpteur, cités à titre d’exemple), tandis que la seconde appartient au propriétaire de l’immeuble au sein duquel l’œuvre s’intègre. Les droits de l’auteur de l’œuvre sont cependant souvent cédés par contrat au propriétaire du bâtiment, pour en faciliter l’exercice.

Les titulaires du droit d’auteur peuvent ainsi s’opposer à la reproduction de l’image de leur œuvre sans leur autorisation, qui relèverait de la contrefaçon de droits d’auteur.

Il convient ainsi de noter que lorsqu’un film inclut des œuvres toujours protégées par des droits d’auteur, des redevances sont dues aux titulaires des droits d’auteur de ces œuvres.

Par exception, la loi autorise la reproduction de ces biens, nonobstant les droits de l’auteur :

  • Lorsque l’œuvre n’est pas le sujet principal de la photographie ou de la vidéo en cause, et n’en constitue que l’accessoire et / ou se situe en arrière-plan ;
  • Lorsqu’elle concerne une œuvre architecturale ou sculpture placée sur la voie publique, exploitée par une personne physique à des fins non-commerciales. Cette exception législative fut instaurée en 2016 par la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine[8] ;  elle est communément appelée « exception Instagram », en ce qu’elle consacre l’usage contra legem des utilisateurs de ce réseau social, consistant à publier en ligne des photographies d’œuvres prises sur la voie publique, au détriment des droits de leurs auteurs.

Il convient de noter qu’à l’expiration des droits d’auteur, soixante-dix (70) ans après la mort de l’auteur (article 123-1 du même code), ces biens redeviennent libres d’exploitation, (i)  sous réserve du droit moral de l’auteur, qui n’expire jamais – bien qu’il soit atténué en la matière, et (ii) dans le respect de la protection des monuments nationaux, telle que précédemment exposée.

S’agissant des œuvres d’art visuel, l’article 14 de la Directive  sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[9] impose à ce titre aux Etats-membres de prévoir que « lorsque [sa durée de protection] est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. »

Ce « domaine public » ainsi constitué est à rapprocher de la loi italienne protégeant l’image des monuments nationaux même en dehors de la durée de protection,, et sans doute à articuler avec l’exception culturelle française ainsi qu’avec les cas d’atteinte au droit moral, et notamment dans l’hypothèse où l’œuvre serait dénaturée.

Le Musée Rodin, titulaire du droit moral de l’artiste Auguste Rodin, dont les œuvres sont tombées dans le domaine public, a ainsi pu poursuivre en justice, avec succès, un fabricant de sculptures présentées à la vente comme étant des originaux de Rodin, en faisant valoir qu’une reproduction déformée des œuvres maîtresses de Rodin constituait une atteinte au respect de son nom et de son intégrité artistique[10].

En conclusion : Les droits d’auteur pouvant s’exercer sur les biens privés ou publics empêchent ainsi l’exploitation libre de leurs images. En leur absence toutefois, l’exploitation de ces images se libère, sous réserve des troubles anormaux que peut causer cette exploitation au propriétaire.

Par exception, une autorisation préalable doit être obtenue, en tout état de cause, s’agissant de l’exploitation de l’image des quelques bâtiments publics ci-dessus identifiés, cette autorisation pouvant être subordonnée au paiement d’une redevance.

  • Exclusion contractuelle

Il convient enfin de réserver l’hypothèse par laquelle l’exploitation de l’image des biens en cause serait limitée contractuellement : certains musées, tels que le Louvre, prescrivent ainsi dans leurs Règlements de visite des stipulations restrictives, interdisant la photographie ou la reproduction des œuvres qui y sont exposées, ou l’autorisant à certaines conditions.

Ces restrictions, issues de contrats passés avec les visiteurs, en ce qu’elles résultent d’un libre accord des volontés, n’apparaissent pas contredire les dispositions légales ou jurisprudentielles ci-dessus rappelées.

Par les équipes IP/IT et Droit public du Cabinet

Source : Conseil d’État

UGGC - Justice 2060093 1920

[1] CE, Ass. 13 avril 2018, Etablissement public du domaine national de Chambord, req. n°397047.

[2] Le Conseil d’État réserve le cas dans lequel une telle prise de vue implique une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, caractérisant alors un usage privatif du domaine. Ainsi, l’exploitation de l’image des biens mobiliers situés à l’intérieur du bâtiment public, tels que les statues d’un musée, est susceptible de constituer un usage privatif nécessitant l’autorisation préalable de l’établissement public propriétaire et, le cas échéant, l’établissement d’une redevance : CE, 23 décembre 2016, Commune de Tours, req. n° 378879

[3] Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

[4] Décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018.

[5] Articles L. 621-42 et R. 621-98 du Code du patrimoine, issu du Décret n°2017-720 du 2 mai 2017.

[6] Cour de Cassation, 7 mai 2004, n° 02.10450, Société Hôtel de Girancourt.

[7] V. pour l’exemple, rejetant une telle atteinte : Cour d’appel de Paris, 27 mars 2019, n° 18/04947, Maison des rochers.

[8] Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.

[9] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

[10] Cour de Cassation, 25 octobre 2016, n° 15.84620, Musée Rodin.