Interruption de la prescription : un conseil, ouvrez votre code ! (Cass. com. 26 janvier 2016, n°14-17.952)

16/03/2016

Par Marine Simonnot

Les faits de l’espèce sont simples :

Une société est placée en liquidation judiciaire par jugement du 15 février 2007.

En présence d’une insuffisance d’actif estimée à 8 000 000 €, une action en responsabilité pour insuffisance d’actif et aux fins de sanctions personnelles est introduite par le liquidateur judiciaire à l’encontre des deux dirigeants de la société par actes d’huissier des 5 et 20 août 2008.

Le tribunal condamne le premier dirigeant, M. C. à contribuer à l’insuffisance d’actif pour 6 000 000 € et le second, Mme C. à y contribuer à hauteur de 100 000 €.

La cour d’appel de Paris, a déclaré irrecevable l’action du liquidateur judiciaire par arrêt du 11 janvier 2011 au motif que les dirigeants n’avaient pas été convoqués par le greffe en vue de leur audition personnelle.

Le liquidateur judiciaire n’a pas contesté la décision d’appel – conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation – mais immédiatement délivré une nouvelle assignation par acte d’huissier du 16 mars 2011.

La question posée

Plus de trois ans s’étant écoulés depuis l’ouverture de la liquidation judiciaire, la question qui se posait était celle de savoir si l’assignation délivrée les 5 et 20 août 2008 avait interrompu ou non la prescription.

La solution retenue

Tant le tribunal de commerce que la cour d’appel ont déclaré l’action recevable et condamné les dirigeants à supporter respectivement 6 000 000 € et 100 000 €, outre une faillite personne de 15 ans pour le premier et une mesure d’interdiction de gérer pour le second.

La chambre commerciale de la Cour de cassation, après avoir sollicité, puis suivi, l’avis de la 2ème chambre civile, a, au visa des articles 2241 alinéa 2 et 2243 du code civil dans leur rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et des articles L. 651-2 et L. 653-1-II du code de commerce, cassé l’arrêt d’appel pour violation de la loi et déclaré prescrite l’action du liquidateur judiciaire contre M. C.

Pour déclarer l’action prescrite, la Cour de cassation a rappelé que l’article 2243 du code civil « ne distinguant pas selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir, l’effet interruptif de prescription de la demande en justice est non avenue si celle-ci est déclarée irrecevable, le premier [l’article 2241] ne s’applique qu’aux deux hypothèses, qu’il énumère, de saisine d’une juridiction incompétente ou d’annulation de l’acte de saisine par l’effet d’un vice de procédure » Aussi, la Cour décide que « alors que l’interruption de la prescription résultant de l’assignation du 5 août 2008 était non-avenue, en raison de l’arrêt du 11 janvier 2011 qui avait accueilli une fin de non-recevoir, de sorte que l’assignation du 16 mars suivant avait été délivrée après l’expiration du délai de prescription triennale qui avait commencé à courir le 15 février 2007, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

L’enseignement à tirer

L’enseignement qu’il convient de tirer de cet arrêt est qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où le texte ne distingue pas.

Le dirigeant qui a été condamné à 4 reprises à 6 000 000 € (deux fois par le tribunal et deux fois par la cour d’appel) peut pousser un soupir de soulagement et remercier son avocat puisqu’après plus de 7 ans de procédure, il se voit « blanchi ».

La morale de l’histoire

Dans de tels dossiers, difficiles à gagner sur le plan des faits, les arguments de procédure sont souvent les seuls à permettre au dirigeant d’échapper à toutes sanctions… encore faut-il ouvrir son code.

Avis aux procéduriers.

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