La chronologie des médias en débat : vive la chronologie des médias !

26/01/2022 - anne-marie-pecoraro

Sujet sensible du monde du cinéma, la chronologie des médias organise l’ordre de diffusion des œuvres cinématographiques sorties en salles en France, pour les différents modes de diffusion, selon un système de fenêtres d’exploitation aux ouvertures successives. Prenant en compte les nouveaux usages, l’obligation de contribution à la production cinématographique française des plateformes de vidéos à la demande par abonnement étrangères visant la France (SVOD tels que Netflix, Amazon, Disney+) avait été cristallisée dans le décret SMAD du 23 juin 2021[1], en transposition de la directive SMA de 2018[2]. Ce faisant, la nouvelle mouture tente de trouver un compromis entre les intérêts de Canal+ – financeur historique du cinéma français, ceux des services de SVOD, sans négliger ceux des chaînes de télévision gratuites. Elle remplace l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018, étendu par arrêté du 25 janvier 2019[3].

Signé ce lundi 24 janvier 2022 dans les bureaux du ministère de la Culture par une vingtaine de parties prenantes, le nouvel accord a vocation à encadrer les délais de diffusion des films. Prévu pour une durée de 3 ans, le texte inclut une clause de revoyure fixée à un an ; Variety rapporte que Netflix pourrait profiter de cette occasion pour tenter d’obtenir un rapprochement supplémentaire de sa fenêtre[4].

La signature de cet accord marque la fin de longues et tumultueuses négociations[5]. Elle intervient à point nommé puisque la réglementation jusqu’ici en vigueur arrivait à terme le 10 février 2022, soit une quinzaine de jours plus tard.

Les éléments clés de l’accord sont (i) un avancement de l’ouverture de la fenêtre de Canal+ et (ii) des services de SVOD, ainsi que (iii) l’obtention pour les services de télévision gratuits de fenêtres étanches pour l’exploitation de certaines œuvres. 

Concrètement, ces évolutions se matérialisent de la manière suivante :

  • La fenêtre d’exploitation de Canal+ s’ouvre dès 6 mois (contre 8 mois auparavant) ;
  • Concernant les fenêtres d’exploitation des services de SVOD ;
    • La fenêtre de Netflix s’ouvre dès 15 mois (contre 36 mois auparavant). Netflix est le seul service de SVOD étranger visant la France à avoir signé l’accord.
    • La fenêtre de Disney+ et d’Amazon s’ouvre dès 17 mois (contre 36 mois auparavant) – la différence de régime comparé à Netflix s’explique par le fait que ceux-ci n’ont pas signé le nouvel accord [6]. Néanmoins, ce dernier s’applique à eux, quand bien même ne l’auraient-ils pas signé.
  • La fenêtre d’exploitation des chaînes de télévision gratuites s’ouvre dès 22 mois :
    • En principe, lorsque l’œuvre a été acquise ou préfinancée par des chaînes de télévision gratuites, celles-ci ont négocié une fenêtre étanche d’au moins un mois – leur permettant le temps de cette fenêtre d’être seules à exploiter le film à l’exclusion de tout autre service, notamment SVOD ;
  • A titre de dérogation, lorsque l’œuvre n’a pas été acquise ou préfinancée par des chaînes de télévision gratuites, les règles diffèrent selon le budget de l’œuvre concernée :
    • Si les œuvres cinématographiques ont un budget inférieur à 5 millions d’euros, les services de SVOD pourront continuer à les exploiter en même temps qu’elles sont diffusées par les chaînes de télévision gratuites ;
    • Si les œuvres cinématographiques ont un budget inférieur à 25 millions d’euros, ont été produites par le service ou ses sociétés affiliées, et ne peuvent pas être prises en compte au titre de la contribution au développement de la production au sens du décret SMAD, le service de SVOD pourra continuer à les exploiter en même temps qu’elles sont diffusées par les chaînes de télévision gratuites[7] ;
    • Si les œuvres cinématographiques ont un budget supérieur ou égal à 5 millions d’euros, la conclusion d’un accord de coexploitation pourrait être recherchée entre le service de SVOD et la télévision en clair dans des conditions encore assez complexes à décrypter dans le projet actuel.

Si Roselyne Bachelot se félicite de ce que les acteurs ont finalement surmonté leurs « querelles de chapelles » pour parvenir à un accord[8], que Netflix y voit une « première étape significative de modernisation de la chronologie des médias »[9], que Canal+ sort « grand gagnant »[10] en gardant sa place privilégiée de première position après les services de TVOD et d’achat et location de vidéogrammes, d’autres acteurs sont plus mitigés. En ce sens, Disney+ de regretter que cette nouvelle version « n’établit pas un cadre équitable et proportionné entre les différents acteurs de l’écosystème audiovisuel »[11].

La révision de la chronologie des médias, octroyant des fenêtres d’exploitation rapprochées aux services de SVOD, a été pensée comme un « corollaire naturel »[12] au décret SMAD, qui les intègre au système de participation à la contribution des œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises et européennes. Nos années de pratique consacrées à cette réglementation complexe, observée par les professionnels du cinéma du monde entier et recherchant le meilleur équilibre entre les intérêts divergents en présence, ne font pas douter que ses détracteurs affûtent déjà leurs arguments et critiques.

Retrouvez notre frise chronologique dans notre article « Chronologie des médias : Canal+ rebat les cartes », Edition Multimédi@, 20 décembre 2021, p.8 en cours de mise à jour, très prochainement.

UGGC - Avocat pecoraro anne marie

Anne-Marie Pecoraro

Avocate associée

Spécialisée en Propriété intellectuelle



[1] Décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (lien)

[2] Voir l’article 13 de la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), compte tenu de l’évolution des réalités du marché (lien)

[3] Arrêté du 25 janvier 2019 portant extension de l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018 ensemble son avenant du 21 décembre 2018 (lien)

[4] La fenêtre visée commencerait dès 12 mois contre 15 mois avec la nouvelle version de la chronologie. Voir : Elsa Keslassy, France’s Revamped Windowing Gives Netflix Earlier access to Fresh Movies, Variety (lien)

[5] Lire notre article « Chronologie des médias : Canal+ rebat les cartes », Edition Multimédi@, 20 décembre 2021, p.8

[6] Sandrine Cassini et Alexandre Picquard, Netflix, Amazon et Disney pourront diffuser des films plus récents, Le Monde, 25 janvier 2022

[7] Nicolas Madelaine, De nouvelles fenêtres de diffusion des films après leur sortie en salle, Les Echos, 24 janvier 2022

[8] AFP, France: Canal+ et les plateformes pourront diffuser des films plus vite après leur sortie en salles, 24 janvier 2022

[9] Article AFP préc.

[10] Enguérand Renault, Canal+ grand gagnant de la nouvelle chronologie des médias, Le Figaro, 24 janvier 2022

[11] Article AFP préc.

[12] Voir l’article 27 du rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 (lien)