LE COVID-19 CONSTITUE-T-IL UN CAS DE FORCE MAJEURE ? QUELS EN SONT LES EFFETS SUR LES CONTRATS EN COURS ?

16/04/2020

La question qui ne cesse de se poser dans le cadre du contexte actuel en France et dans le monde est celle de savoir si le débiteur d’une obligation peut invoquer le Covid-19 en tant que nouvelle épidémie sanitaire et/ou les mesures que ce virus a impliquées comme constituant un cas de force majeure pour suspendre l’exécution de son obligation ou solliciter la résolution du contrat le cas échéant.

La force majeure est prévue à l’article 1218 du code civil, qui dispose :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

Il existe ainsi un évènement de force majeure si trois conditions sont remplies : (i) l’évènement échappe au contrôle du débiteur, (ii) il ne pouvait être raisonnablement prévu au moment de la conclusion du contrat et (iii) les effets de cet évènement ne peuvent être évités par des mesures appropriées. On retrouve là les critères habituellement retenus par les tribunaux d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité pour qualifier un évènement de force majeure. L’évènement ainsi défini doit enfin empêcher l’exécution d’une ou plusieurs obligation(s).

La partie engagée par un contrat peut-elle invoquer le Covid-19 pour justifier de l’inexécution de ses obligations contractuelles au titre de la force majeure ?

Sans doute mais sous réserve du respect de certaines conditions.

Tout d’abord, la caractérisation de la force majeure semble pouvoir être admise à l’examen de la jurisprudence connue concernant des autres cas d’épidémies (dengue, peste, grippe aviaire par exemple). En effet, pour ces épidémies, les juges n’ont pas admis la force majeure aux motifs notamment que les maladies étaient connues, pas suffisamment graves ou encore qu’un traitement préventif contre la maladie existait pour les éviter.

Or, la situation actuelle du Covid-19 est totalement différente des cas d’épidémies précédemment examinés par les tribunaux : il s’agit d’une pandémie mondiale, très présente en France, les effets sur la population et sur le commerce sont exceptionnellement importants, il n’existe pas de traitement pour le Covid-19 et de nombreuses mesures gouvernementales (susceptibles de constituer un « fait du prince ») ont été prises afin de lutter contre la propagation du virus[1] qui ont conduit notamment à la fermeture obligatoire de nombreux commerces.

Au regard des spécificités de l’épidémie actuelle, de sa dangerosité et de ses conséquences paralysantes pour l’économie, il est donc possible et même probable que les tribunaux reconnaissent que le Covid-19 et/ou les mesures prises en raison du virus constituent un cas de force majeure.

Toutefois, pour que la force majeure puisse produire ses effets sur le contrat, outre la démonstration que les trois conditions précitées de l’article 1218 du code civil sont remplies, encore faut-il que la partie qui l’invoque démontre dans les faits qu’à la date à laquelle elle devait exécuter son obligation, elle en était empêchée en raison du Covid-19 (ou en raison des mesures prises pour lutter contre sa propagation).

La chronologie des faits et la date de conclusion du contrat sont donc des éléments essentiels pour caractériser l’existence d’un évènement de force majeure ayant des effets sur le contrat.

Pour des contrats conclus récemment, à tout le moins à partir du moment où l’épidémie de Covid-19 commençait à prendre de l’ampleur (stade 2 de l’épidémie prononcée par le gouvernement le 28 février 2020 pourrait-on soutenir), la force majeure paraît difficile à invoquer dans la mesure où le virus était prévisible au moment de la conclusion du contrat.

A l’inverse, pour les contrats conclus avant cette date et avant la parution des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du Covid-19[2], la caractérisation de la force majeure serait envisageable, les conditions de l’article 1219 du code civil étant assurément remplies. La difficulté viendra néanmoins de la démonstration que le Covid-19 empêche l’exécution du contrat.

A titre d’exemple, s’agissant en particulier d’une obligation de paiement, si l’épidémie a eu, sur le plan économique, des conséquences irrésistibles expliquant le défaut de paiement, la force majeure pourrait être retenue au bénéfice du débiteur de cette obligation dans la mesure où l’impossibilité d’exécuter le contrat en raison de la force majeure serait démontrée. La force majeure serait toutefois certainement appréciée dans ce cas en tenant compte des mesures de soutien aux entreprises mises en place par le gouvernement, qui sont susceptibles d’ôter au défaut de paiement son caractère impossible et par conséquent à la force majeure son caractère irrésistible.

En tout état de cause, les mesures gouvernementales prises pour éviter la propagation du Covid-19[3], qui pourraient être qualifiées de fait du Prince le cas échéant, pourraient être qualifiées de cas de force majeure empêchant l’exécution d’un contrat.

Ensuite, une fois la force majeure admise, c’est la suspension de l’exécution de l’obligation qui peut être invoquée et, uniquement dans certaines circonstances particulières, la résolution du contrat.

Il n’est pas question de réaménager le contrat comme on le souhaite ou d’y mettre un terme unilatéralement dans n’importe quelles conditions.

Lorsque l’empêchement est temporaire – comme c’est le cas du Covid-19, à tout le moins il faut l’espérer –, l’exécution de l’obligation contractuelle est suspendue. L’obligation doit donc être exécutée après disparition de l’empêchement, c’est-à-dire dès retour à la normale. Ainsi, les travaux suspendus doivent être repris, l’événement annulé doit être refixé sous réserve que cela soit possible etc…

Par le jeu de la force majeure, l’absence d’exécution par une partie d’une obligation prévue au contrat ne constitue pas une inexécution fautive et permet, par conséquent, de paralyser le jeu des pénalités prévues en cas d’inexécution fautive, frais d’annulation etc…

Ce n’est que dans l’hypothèse où le retard dans l’exécution de la prestation rend inutile ou caduque la prestation que le contrat peut être résolu.

En cas de résolution du contrat, les conséquences seront plus complexes à appréhender lorsque le contrat aura déjà été partiellement exécuté. Il conviendra alors de se référer aux solutions classiquement mises en œuvre par la jurisprudence, qui distingue les conséquences de la résolution selon l’utilité qu’ont eu pour une partie les prestations réalisées par l’autre partie avant la force majeure et le cas échéant la volonté des parties.

Si les prestations fournies sont d’utilité continue, comme c’est le cas en matière de bail par exemple, alors la résolution du contrat ne remet pas en cause les périodes d’exécution antérieures à la survenance de la force majeure, de telle sorte que la contrepartie des prestations qui ont été effectivement fournies demeure due au titre du contrat. La résolution du contrat est alors dépourvue d’effet rétroactif et produit les effets d’une résiliation.

Si, en revanche, les prestations fournies n’avaient d’utilité que si le contrat était totalement exécuté ou que les parties avaient voulu faire des prestations un tout indivisible[4], alors il y a lieu à résolution du contrat. Il sera alors fait application du régime des restitutions prévu par les articles 1352 à 1352-9 du code civil, en vertu desquels :

  • la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent a lieu en nature ou, en cas d’impossibilité, en valeur, celle-ci étant estimée au jour de la restitution ;
  • la restitution d’une prestation de service qui a été exécutée conformément au contrat a lieu en valeur, celle-ci étant estimée à la date à laquelle elle a été fournie ;
  • la diminution de la valeur de la chose due à des dégradations ou détériorations est imputable à celui qui a conservé la chose pendant l’exécution du contrat, sauf s’il est de bonne foi et qu’il prouve son absence de faute à l’origine desdites dégradations ou détériorations ;
  • les fruits et la valeur de la chose restituée doivent également être restitués.

Enfin, les parties doivent être extrêmement vigilantes à la rédaction de leur contrat ou des conditions générales et s’assurer que le contrat n’exclut pas une pandémie telle que le Covid-19 des cas de force majeure admis.

En effet, l’article 1218 du code civil n’étant pas d’ordre public, il est possible pour les parties à un contrat d’y déroger et d’aménager contractuellement la force majeure (en donnant, par exemple, une liste exhaustive de cas constitutifs de force majeure, en en précisant ses effets etc…). Le cas d’une pandémie pourrait par exemple être contractuellement exclu de la qualification de force majeure.

Dans l’hypothèse d’une clause de force majeure dans un contrat, dans des conditions générales ou dans tout autre document opposable à une partie, il convient donc d’examiner la clause pour vérifier si le cas visé, le Covid-19, peut constituer un cas de force majeure et de l’interpréter le cas échéant en l’absence de clarté et en cas d’ambiguïté (il reviendra alors aux tribunaux de trancher la question de l’interprétation de la clause).

ll n’est en effet pas rare que les exclusions prévues au titre de la force majeure intègrent le risque sanitaire.

Dans l’hypothèse où Covid-19 serait exclu de la définition contractuelle de la force majeure, il reste néanmoins la possibilité d’invoquer l’imprévision prévue à l’article 1195 du code civil[5] – si elle n’a pas été écartée expressément dans le contrat -.

Grâce à l’imprévision, la partie qui estime que le Covid-19 rend l’exécution de son obligation excessivement onéreuse peut in fine solliciter du juge qu’il procède lui-même à une révision ou une résiliation du contrat. L’imprévision est néanmoins plus adaptée à une situation de modification structurelle du contrat pour l’avenir et non un outil destiné à faire face à une crise temporaire mais elle pourrait présenter un intérêt comme substitut à la résolution du contrat. Mais attention, comme pour la force majeure, l’imprévision n’étant pas une disposition d’ordre public, les parties à un contrat peuvent l’aménager contractuellement voire en exclure expressément l’application. Là encore une vigilance particulière devra être accordée à la lecture des stipulations contractuelles.

ooOoo

La crise sanitaire que nous traversons actuellement a conduit UGGC Avocats à mettre en place des mesures de continuité d’activité sécurisées par télétravail.

Toutes nos équipes demeurent pleinement mobilisées et joignables en permanence, par email et par téléphone. Nous mettons tout en œuvre pour maintenir notre réactivité et vous accompagner dans les difficultés que vous rencontrez liées aux mesures de confinement, aux menaces de santé publique et aux dispositions législatives et règlementaires exceptionnelles adoptées par les pouvoirs publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Dans cette période difficile pour nous tous, nous vous adressons, ainsi qu’à vos familles et à vos équipes, nos meilleurs vœux de santé et de courage.


[1] Les décisions des pouvoirs publics qui limitent ou interdisent les rassemblements et déplacements de personnes. 

[2] Arrêté du 4 mars 2020 interdisant les regroupements de plus de 5.000 personnes notamment.

[3] Les décisions des pouvoirs publics qui limitent ou interdisent les rassemblements et les déplacements de personnes par exemple.

[4] Par exemple, cass. 1ère civ. 13 janv. 1987, n°85-12676 (Bulletin 1987, I, n°11) : les parties qui ont convenu qu’une somme forfaitaire serait versée à une auto-école en contrepartie de l’engagement de cette dernière de délivrer des leçons de conduite jusqu’à obtention du permis de conduire ont voulu faire de l’obligation un tout indivisible, si bien que le refus de l’auto-école de délivrer des leçons jusqu’à obtention du permis de conduire entraîne la résolution du contrat – et non pas sa résiliation – et par conséquent l’obligation pour l’auto-école de restituer l’intégralité de la somme forfaitaire qu’elle a perçue.

[5] Applicable aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.