Le testing est un mode de preuve conforme aux droits et libertés fondamentaux selon la Cour de cassation

09/03/2015

CYMLe testing, test permettant de déceler des comportements discriminatoires en situation réelle, est un mode de preuve prévu et défini par l’article 225-3-1 du Code pénal[1], lequel dispose que :

« Les délits prévus par la présente section[2] sont constitués même s’ils sont commis à l’encontre d’une ou plusieurs personnes ayant sollicité l’un des biens, actes, services ou contrats mentionnés à l’article 225-2 dans le but de démontrer l’existence du comportement discriminatoire, dès lors que la preuve de ce comportement est établie ».

L’article 225-2 du Code pénal dispose quant à lui :

« La discrimination définie aux articles 225-1 et 225-1-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste :

1° A refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ;

2° A entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque ;

3° A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;

4° A subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ou prévue à l’article 225-1-1 ;

5° A subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ou prévue à l’article 225-1-1 ;

6° A refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».

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 Le 4 février 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt[3] sur une question prioritaire de constitutionnalité, transmise par la Cour d’appel de Dijon, et portant sur la constitutionnalité de l’article 225-3-1 du Code pénal.

La question posée était la suivante :

« L’article 225-3-1 du code pénal, qui valide la sollicitation d’un bien ou d’un service effectuée dans le seul but de faire commettre une discrimination, comme moyen de preuve de ladite discrimination, porte-t-il atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, tels qu’ils découlent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »

La Cour a considéré que la question n’était pas nouvelle et dépourvu de sérieux :

« Et attendu qu’elle ne présente pas un caractère sérieux dès lors que, tout en facilitant la constatation des comportements discriminatoires, l’article 225-3-1 du code pénal ne prévoit aucune dérogation aux règles de poursuite et de jugement des infractions ; qu’en outre, il ne confère pas au procureur de la République la faculté de provoquer à la commission d’une infraction et ne remet pas en cause le pouvoir du juge d’apprécier la valeur probante des éléments à charge produits par les parties, après les avoir soumis à la discussion contradictoire; qu’il n’est ainsi porté aucune atteinte aux droits de la défense ni au droit à un procès équitable ; »

La QPC n’était donc pas transmise au Conseil Constitutionnel.

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 Pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le testing, sorte de provocation à la commission d’une infraction, est donc un mode de preuve admissible devant le juge pénal, dans la mesure où :

  • première condition: il ne confère pas au procureur de la République la faculté de provoquer à la commission d’une infraction ;
  • seconde condition: il ne remet pas en cause le pouvoir du juge d’apprécier la valeur probante des éléments à charge produits par les parties, après les avoir soumis à la discussion contradictoire.

Cette position, aux termes de laquelle la Chambre criminelle pose explicitement deux conditions cumulatives à la licéité de ce mode preuve devant le juge pénal, est en réalité une illustration et un rappel de la jurisprudence habituelle de la Chambre criminelle en la matière.

Le principe : la liberté de la preuve par les parties devant le juge pénal – La Chambre criminelle accueille très largement les éléments de preuve démontrant l’existence d’une infraction[4] et/ou permettant d’en appréhender les auteurs.

Elle s’appuie généralement sur l’article 427 du Code de procédure pénale, qui édicte le principe de liberté de la preuve en matière pénale :

« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction.

Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

Ce texte se retrouve clairement dans la seconde condition posée par la Chambre criminelle dans son arrêt du 4 février 2015.

Sur ce fondement, la jurisprudence considère donc « qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante »[5].

Ces éléments doivent seulement avoir été soumis au débat contradictoire[6].

Ces principes avaient d’ailleurs été appliqués au testing, avant le 4 février 2015, puisque la Chambre criminelle avait déjà jugé, le 11 juin 2002[7] :

« Vu l’article 427 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu’il leur appartient seulement, en application du texte susvisé, d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire ;

[…]

Attendu que, pour confirmer ce jugement, la cour d’appel retient, substituant ses motifs à ceux des premiers juges, que le procédé dit « testing » est illicite ; qu’elle énonce qu’il n’offre « aucune transparence », ne respecte pas « la loyauté nécessaire dans la recherche des preuves et porte atteinte aux droits de la défense ainsi qu’au droit à un procès équitable » ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ; »

Il est à noter que l’accueil, par le juge pénal, d’une preuve obtenue illégalement n’interdit pas au Procureur de la République, dans le même temps, de poursuivre la personne privée qui l’aura produit au débat après avoir commis une infraction pour l’obtenir (par ex un vol, un abus de confiance, une atteinte à la vie privée…).

La limite : la déloyauté de la preuve forgée par ou à l’initiative de l’autorité administrative ou judiciaire – Telle est la limite posée puis régulièrement rappelée par la jurisprudence, à l’admission d’une preuve devant le juge pénal : c’est la déloyauté directement imputable à l’administration. Elle se retrouve d’ailleurs dans l’arrêt du 4 février 2015[8].

Sont ainsi prohibés :

  • les stratagèmes, provocations et machinations mis en place par l’autorité judiciaire ou administrative déterminant la commission de l’infraction[9];
  • la production de documents obtenus frauduleusement par l’administration[10].

Conclusion – L’arrêt du 4 février 2015, rendu à propos du testing, s’inscrit donc dans une jurisprudence établie de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, que l’on qualifiera pudiquement d’utilitariste, dès lors qu’elle permet aux juges du fond de fonder leurs décisions sur des éléments de preuve qui sont le produit d’une infraction, bien qu’elle interdise à l’administration de recourir elle-même à ce type de comportement.

Ce refus de transmission de la « QPC testing » est par ailleurs un exemple de la relative réticence de la Chambre criminelle à soumettre sa jurisprudence au juge constitutionnel, lequel serait susceptible de la modifier ou de l’infléchir par ses décisions rendues en matière de QPC.

A la décharge de la Chambre criminelle, on reconnaîtra qu’elle vient récemment d’accepter de soumettre sa jurisprudence constante au Conseil Constitutionnel dans le cadre des QPC dites EADS et Oberthur[11], s’inscrivant ainsi dans la jurisprudence de ce dernier, qui considère que peut lui être soumis la constitutionnalité de la loi telle qu’interprétée par le juge administratif ou le juge judiciaire[12].

[1] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=9634ED6E48E304FBA804BCB274E95C1C.tpdila12v_2?idSectionTA=LEGISCTA000006165298&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20150302

[2] L’entier corpus de textes répressifs est constitué des articles 225-1 et suivants du Code pénal : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=D8A40F0F386222B8E66D02C8C4928B2E.tpdila24v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006165298&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20150303

[3] Cass. Crim. 4 février 2015, n° 14-90048 – publié au Bulletin.

[4] Voir sur ce thème « la cour de cassation entre loyauté et vérité » – article publié le 21 mars 2012 par Jean-Baptiste Schroeder et Cyrille Mayoux sur lesechos.fr :

http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2012/03/21/cercle_44810.htm

[5] Cass. Crim. 15 juin 1993: Bull. crim. n° 210 ; D. 1994. 613, note Mascala; Dr. pénal févr. 1994, p. 3, obs. Lesclous et Marsat – Cass. Crim. 6 avr. 1994 : Bull. crim. no 136 ; Gaz. Pal. 21 juill. 1994, p. 18, note Doucet.

[6] Cass. Crim. 30 mars 1999 : Bull. crim. n° 59; Procédures 1999. Comm. 215, obs. Buisson ; RG proc. 1999. 640, Chron. Rebut ; D. 2000. 391, note Garé. – Cass. Crim. 12 juin 2003: RSC 2004. 427, obs. Buisson.

[7] Cass. Crim. 11 juin 2002 ; Bull. crim. n° 131 ; D 2003. 1309, note Collet-Askri.

[8] C’est la première condition évoquée plus haut : « il [l’article 225-3-1 du Code pénal] ne confère pas au Procureur de la République la faculté de provoquer à la commission d’une infraction ».

[9] Dès lors qu’il résulte des énonciations des juges que l’interpellation d’une personne, suspectée de trafic d’influence, a procédé d’une machination de nature à déterminer ses agissements délictueux et que, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves, la chambre d’accusation est fondée à prononcer la nullité de la procédure subséquente – Cass. Crim. 27 févr. 1996, Bull. crim. no 93; Gaz. Pal. 11 juill. 1997, p. 9, rapp. Guerder; D. 1996. 346, note Guéry; JCP 1996. II. 22629, note Rassat.

« Attendu que porte atteinte au principe de la loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d’une infraction par un agent de l’autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d’un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus » ; Cass. Crim. 11 mai 2006 : Bull. crim. n° 132 ; D. 2006. IR 1772 ;  AJ pénal 2006. 354, note Verges; RSC 2006. 848, note Finielz; ibid. 2006. 879, obs. Renucci; RPDP 2006. 859, obs. Maistre du Chambon. Cass. Crim. 9 août 2006: Bull. crim. n° 202; D. 2006. IR 2348; ibid. 2007. 402, obs. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2006. 510, note Saas.

De même, « porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d’une infraction par un agent public, fût-elle réalisée à l’étranger par un agent public étranger, ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d’un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus » ;  Cass. Crim. 7 févr. 2007: Bull. crim. n° 37; D. 2007. AJ 1079; AJ pénal 2007. 233 ; RSC 2007. 331, obs. Finielz; Dr. pénal 2007. Chron. 29, obs. Lepage; Procédures 2007. Comm. 147, obs. Buisson

Dans le même sens Cass. Crim. 4 juin 2008: Bull. crim. n° 141 ; D. 2008. AJ 1766, note Lavric; ibid. Pan. 2716, obs. Bretzner; RSC 2008. 621, obs. Francillon; AJ pénal 2008. 425, obs. Lavric; Dr. pénal 2008. Chron. 10, obs. Lepage; ibid. 2009. Chron. 1, obs. Guérin.

[10] A titre d’exemple : l’administration des douanes n’est pas recevable à prouver des délits par des documents qu’elle s’est procurés de manière frauduleuse. Cass. Crim. 28 oct. 1991: Bull. crim. n° 381; JCP 25 juin 1992 n° 318, note Pannier; Dr. pénal 1992. Comm. no 42, obs. Robert.

Voir aussi : Cass. Ass. plén., 7 janv. 2011: D. 2011. 562, obs. Fourment; ibid. 618, obs. Vigneau; ibid. Pan. 2893, obs. Delebecque.

[11] Voir les arrêts n° 7607 du 17 décembre 2014 (n° 14-90.042) et n° 652 du 28 janvier 2015 (n° 14-90.049) :

« Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que l’article 6 du code de procédure pénale, tel qu’interprété par une jurisprudence constante, qui n’exclut pas le cumul de poursuites pénales et administratives pour de mêmes faits, est susceptible de porter une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem ; »

[12] Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 : « qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ; ».

Voir également la décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 reprenant le même paragraphe.