L’irrecevabilité du moyen tiré du principe compétence-compétence soulevé pour la première fois en cause d’appel

par Clémence Lemétais

(cass. 1ère civ., 4 juill. 2018, n°17-22.103)

Dans un arrêt du 4 juillet 2018 (cass. 1ère civ., 4 juill. 2018, n°17-22.103), la première chambre civile de la Cour de cassation statue sur le régime procédural de l’exception tirée du principe compétence-compétence, en vertu de laquelle un plaideur invoque l’incompétence du juge étatique sur le fondement d’une clause compromissoire.

A titre préalable, il est rappelé que conformément à l’article 1448 alinéa 1er du code de procédure civile, la juridiction étatique qui est saisie d’un litige relevant d’une convention d’arbitrage doit se déclarer incompétente sauf (i) si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et (ii) si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Il s’agit là de l’aspect négatif du principe compétence-compétence.

Il appartiendra ensuite au tribunal arbitral de se prononcer sur sa compétence si celle-ci est contestée et ce, en application du principe compétence-compétence dans son aspect positif.

Toutefois, pour que la juridiction étatique se déclare incompétente, encore faut-il que l’une des parties au procès invoque la convention d’arbitrage dans la mesure où la juridiction ne peut relever d’office son incompétence[1].

L’arrêt commenté précise le régime procédural de l’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage que les parties peuvent soulever devant une juridiction étatique.

L’exception d’incompétence constitue, quelle qu’en soit sa cause, une exception de procédure au sens de l’article 73 du code de procédure civile. C’est ainsi notamment le cas de l’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage.

Cette exception est donc soumise au régime procédural des exceptions de procédure prévu par l’article 74 du code de procédure civile qui pose le principe selon lequel les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées in limine litis, c’est-à-dire simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

C’est cette solution qui est énoncée par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.

En l’espèce, une société s’était vue condamner en appel à garantir une autre société des condamnations mises à la sa charge. Elle avait formé un pourvoi en cassation en invoquant notamment la violation par la cour d’appel du principe compétence-compétence au motif que les juges du fond auraient dû accueillir l’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une clause compromissoire dont il n’était pas démontré qu’elle était manifestement nulle ou inapplicable.

La société appelante puis demanderesse au pourvoi s’était toutefois abstenue de soulever cette exception d’incompétence en première instance.

La Cour de cassation juge cette exception irrecevable au visa de l’article 74 du code de procédure civile en considérant que « le défendeur représenté en première instance, qui aurait pu invoquer, à ce stade de la procédure, le moyen d’incompétence du juge étatique tiré de l’existence d’une clause compromissoire, et qui ne l’a pas valablement fait, est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d’appel ».

Cette solution est une application pure et simple de l’obligation de soulever les exceptions de procédure in limine litis, mais constitue également l’application du principe de loyauté dont le respect incombe aux parties, tant devant les juridictions étatiques que devant les juridictions arbitrales. En effet, constituerait un comportement déloyal le fait pour une partie qui se serait abstenue d’invoquer l’existence d’une clause compromissoire en première instance de soulever une telle exception en appel.

En outre, cette solution s’explique par le fait que les parties peuvent renoncer à l’arbitrage au profit de la justice étatique. C’est le cas lorsque, nonobstant l’existence d’une clause compromissoire, le demandeur saisit une juridiction étatique et le défendeur laisse la procédure se dérouler devant cette juridiction[2].

[1] Article 1448 alinéa 2 du code de procédure civile

[2] Cass. 1ère civ. 20 avr. 2017, n°16-11413 qui rejette le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt d’appel qui avait notamment jugé que la saisine du juge consulaire et l’abstention de la défenderesse de soulever in limine litis l’exception d’incompétence tirée des clause compromissoires caractérisaient l’intention des parties de renoncer à ces clause.