Obligation de mise en concurrence et de publicité préalable à la délivrance d’autorisations d’occupation des biens du domaine privé des personnes publiques

10/12/2020


Est-il encore possible d’accorder des titres d’occupation du domaine privé pour l’exercice d’une activité économique, sans procédure de sélection préalable des candidats ?

L’article 34 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi SAPIN II avait habilité de gouvernement à modifier le code général de la propriété des personnes publiques :

« Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi tendant à moderniser et simplifier, pour l’Etat et ses établissements publics :
Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d’occupation et de préciser l’étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations

L’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, prise en application de la loi SAPIN II, a ainsi précisé les conditions dans lesquelles la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public est soumise à une procédure de sélection préalable des candidats potentiels ou à des obligations de publicité, lorsque ces titres ont pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur ce domaine.

Ainsi, l’article L. 2122-1-1 du CGPPP dispose aujourd’hui que :

« Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.
Lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité, l’autorité compétente n’est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution. »

Néanmoins, dès la publication de cette ordonnance, un doute s’est insinué sur la portée de ces dispositions. En effet, malgré la clarté de la loi d’habitation et de la rédaction de l’article L. 2122-1-1 du CGPPP, le rapport du Président de la République relatif à l’ordonnance du 19 avril 2017 précisait que :

« L’article 3 impose, à la lumière de la décision de la Cour de justice du 14 juillet 2016 dite Promoimpresa Srl, de soumettre la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public et privé à une procédure de sélection entre les candidats potentiels ou de simples obligations de publicité préalable, lorsque leur octroi a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine. Il s’agit, par là-même, d’assurer la meilleure valorisation du domaine mais également de permettre un égal traitement entre les opérateurs économiques intéressés. »

Cette mention du domaine privé a surpris la doctrine puisque la loi SAPIN II n’avait pas habilité le gouvernement à tirer les conséquences de l’arrêt PROMOIMPRESA s’agissant du domaine privé des personnes publiques.


Cette ambiguïté a été entretenue par la suite, par une réponse ministérielle publiée le 29 janvier 2019.


En effet, par une question écrite n° 12868, en date du 2 octobre 2018, le député du Rhône Laurent FUGIT attirait l’attention du Ministre de l’action et des comptes sur la mise en concurrence des titres d’occupation domaniale.

Selon lui, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a en effet créé une nouvelle obligation s’agissant de la délivrance des titres d’occupation, laquelle doit désormais être précédée d’une procédure de sélection préalable permettant aux candidats potentiels de se manifester. Ces obligations de publicité et de mise en concurrence préalables seraient applicables à la délivrance des titres lorsque ces derniers permettent à leur titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, mais il n’existerait aucune disposition comparable s’agissant des titres d’occupation portant sur le domaine privé.


A cette question, le Ministre de l’action et des comptes a répondu le 29 janvier 2019 en précisant que :

« L’ordonnance n’a pas modifié, en droit interne, les règles régissant l’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques. Toutefois, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016 « Promoimpresa » (affaires n° C-458/14 et C67/15), à la suite de laquelle a été adoptée l’ordonnance de 2017, soumet à des principes de transparence et de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques. Il résulte de cette jurisprudence que la délivrance de titres sur le domaine privé doit garantir dans les mêmes termes le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Ainsi, les autorités gestionnaires du domaine privé doivent donc mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques. »

Il est important de remarquer que la réponse ministérielle se fonde non sur les dispositions de l’article L. 2122-1-1 du CGPPP, mais sur une décision de la Cour de justice de l’Union européenne.
A la suite de la publication de cette réponse ministérielle, la doctrine juridique s’est divisée s’agissant de la portée de ces affirmations.
Une partie estimait qu’à la lumière de la réponse du Ministre et de la décision de la CJUE, il était impératif d’appliquer les dispositions de l’article L. 2122-1 du CGPPP à tous les biens appartenant au 3 domaine privé, nonobstant le fait que le CGPPP ne prévoit expressément cette obligation que pour les seules dépendances du domaine public.
Une autre partie de la doctrine a contesté la réponse ministérielle en insistant sur le fait que le Ministre allait au-delà des exigences de la jurisprudence de la CJUE et des textes en vigueur.
En effet, la décision de la CJUE du 14 juillet 2016 dite PROMOIMPRESA n’impose pas à tous les biens du domaine des personnes publiques des obligations de mise en concurrence et de publicité préalables. Celle-ci précise que ces mesures doivent être mises en place uniquement quand deux critères sont réunis :

– Seuls les titres d’occupation pouvant être qualifiés d’autorisation au sens de la directive n°2006/123 dite « services » peuvent être concernés ;

– Le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée doit être limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables.

La réponse ministérielle du 29 janvier 2019 a provoqué une telle confusion que le 21 novembre 2019, Monsieur Jean-Louis MASSON a posé une nouvelle question au Ministre de l’action et des comptes publics en ces termes :

« M. Jean Louis Masson expose à M. le ministre de l’intérieur les interrogations qui découlent de la réponse ministérielle n°12868, JOAN 29 janvier 2019, p. 861. Celle-ci laisse à penser que la conclusion de conventions pour l’occupation d’éléments du domaine privé des collectivités locales et établissements publics demeure assujettie à la mise en oeuvre de la procédure préalable visée aux articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques. Il lui demande si les termes de la réponse ministérielle précitée s’appliquent, sans exclusive, à toutes les conventions relatives à l’occupation du domaine privé des collectivités locales et établissements publics à des fins économiques. »

Cette question a permis au Ministre de mettre un terme à la polémique relative à l’obligation de mise en concurrence et publicité préalable à la conclusion de toutes les conventions relatives à l’occupation du domaine privé des personnes publiques.
Ainsi, le 30 janvier 2020, le Ministre de l’action et des comptes publics a précisé que :

« L’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, créé par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, impose aux gestionnaires du domaine public d’organiser une procédure de sélection préalable, assortie de mesures de publicité, pour la délivrance de titres d’occupation du domaine public à des fins d’exploitation économique, en particulier lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée est limité. Cette obligation, qui comporte des exceptions et des aménagements, n’a pas expressément été rendue applicable par le législateur aux biens appartenant au domaine privé des personnes publiques. Cette obligation découle néanmoins de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016 dite « Promoimpresa », qui l’a consacrée sans distinguer selon que les dépendances en cause relèvent du domaine public ou du domaine privé des personnes publiques. Les titres d’occupation délivrés pour l’exercice d’une activité économique sur le domaine public ou privé des personnes publiques présentent en effet les caractéristiques d’une autorisation au sens de la directive 2006/123 dite « services », en ce qu’ils constituent des actes formels devant être obtenus par les prestataires auprès des autorités compétentes pour pouvoir exercer leur activité. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, de telles autorisations, quelle qu’en soit la forme, unilatérale ou conventionnelle, doivent donc être soumises à une procédure de sélection entre les candidats potentiels lorsqu’elles sont en nombre limité. Pour le domaine public, l’obligation de mise en concurrence, permettant de garantir l’impartialité et la transparence dans le choix du bénéficiaire du titre d’occupation, est fondée sur les articles L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques tandis que, pour le domaine privé, cette même obligation résulte directement des principes issus de la jurisprudence européenne. »

La présente réponse ministérielle confirme le sens de la position gouvernementale exprimée précédemment : peu importe la nature privée ou publique de la dépendance domaniale objet de l’autorisation, cette dernière doit être accordée après mise en concurrence dès lors qu’elle vise à permettre une occupation à des fins économiques.
Toutefois, une nuance y est introduite pour limiter la portée des obligations de mise en concurrence à une partie seulement des autorisations délivrées. En effet, la réponse ministérielle rappelle correctement les critères posés par la jurisprudence européenne en reprenant la formulation de la CJUE dans l’arrêt précité :

« Les autorisations d’occupation [telles que définies dans la directive 2006/123 dite services], qu’elles prennent une forme unilatérale ou conventionnelle, doivent être soumises à une procédure de sélection entre les candidats potentiels lorsqu’elles sont en nombre limité. »

Si ce n’est la prudence, c’est du moins l’objectif de bonne gestion des deniers publics qui semble devoir conduire les personnes publiques, au moins lorsqu’une telle rareté est constatée et que l’occupation domaniale est susceptible de susciter l’intérêt de plusieurs occupants potentiels, à mettre en œuvre une procédure de sélection préalable. Celle-ci peut utilement être tirée des dispositifs utilisés en matière d’occupation du domaine public. En effet, si le CGPPP ne trouve pas formellement à s’appliquer ici, rien n’interdit, bien au contraire, de s’en inspirer.
Ainsi, le choix des modalités de mise en concurrence semble devoir, en matière d’occupation domaniale, être effectué au cas par cas, au regard des caractéristiques de la dépendance domaniale concernée et de l’intérêt qu’elle peut présenter pour les activités économiques : s’agit-il d’un bien particulier, bénéficiant d’une situation exceptionnelle, ou au contraire, d’un bien « banal », classique, dépourvu de spécificités ?

Article écrit par Clarisse BAINVEL, avocat associé
Et Naïma BELARBI, avocat collaborateur

UGGC - Obligation de mise en concurrence 1