Précisions sur l’application du Règlement Bruxelles I : Matière civile et commerciale (article 1) Détermination du for en cas de connexité (article 6)

16/05/2013

CJUE, 11 avr. 2013, aff. C-645/11

Cet arrêt répond à trois questions préjudicielles dont la Cour de Justice de l’Union Européenne a été saisie par le Bundesgerichtshof allemand à l’occasion d’un litige dans lequel le Land Berlin réclamait à plusieurs particuliers le remboursement de sommes versées par erreur lors d’une procédure administrative de réparation du préjudice causé par la perte d’un bien foncier lors des persécutions sous le régime nazi.

La CJUE était ainsi invitée à se prononcer notamment sur :

– l’interprétation de la matière civile et commerciale visée à l’article 1 du Règlement[1],

– l’application de l’article 6 (1) du Règlement à des défendeurs qui ne sont pas domiciliés dans l’Union européenne[2]

Sur la matière civile et commerciale – l’article 1er, paragraphe 1 du Règlement définit le champ d’application ratione materiae de celui-ci et précise que ce dernier s’applique à la matière civile et commerciale, mais ne recouvre pas la matière administrative.

Le Bundesgerichtsholf s’interrogeait sur l’applicabilité du Règlement au litige car les sommes dont le land Berlin réclamait la restitution avaient été versées dans le cadre d’une procédure administrative.

Après avoir rappelé que les litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé ne relèvent pas du champ d’application du règlement n° 44/2001 lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique, la CJUE a analysé le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée par le Land Berlin pour trancher la question.

La CJUE a relevé que l’action du Land Berlin était engagée devant les juridictions civiles (allemandes) et que le remboursement des sommes réclamées n’était pas prévu par la procédure administrative mais par les dispositions sur la répétition de l’indu établie par le code civil allemand. La CJUE en conclut que « la notion de «matière civile et commerciale» englobe une action en répétition de l’indu dans le cas où un organisme public, s’étant vu enjoindre, par une autorité créée par une loi réparatrice des persécutions exercées par un régime totalitaire, de reverser à une personne lésée, à titre de réparation, une partie du produit provenant de la vente d’un immeuble, a versé à cette personne, à la suite d’une erreur non intentionnelle, la totalité du montant du prix de vente et demande ensuite en justice la répétition de l’indu. »

Sur l’application de l’article 6 (1) du Règlement aux défendeurs non domiciliés dans un Etat de l’Union européenne – L’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 prévoit que s’il y a plusieurs défendeurs, ils peuvent être attraits devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

La Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante que cette disposition est une règle spéciale qui est d’interprétation stricte et ajoute que la situation des défendeurs domiciliés sur un Etat hors UE est expressément réglée par l’article 4 du Règlement qui renvoie aux règles nationales de compétence.

La Cour en conclut qu’afin d’attraire un codéfendeur devant une juridiction d’un État membre sur le fondement de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, il est nécessaire que celui-ci ait son domicile sur le territoire d’un autre État membre.

Cela étant, le renvoi par l’article 4 du Règlement au droit national devrait avoir en pratique le même effet que l’application de l’article 6 (1) du Règlement.

En effet, pour fonder la compétence des tribunaux français à l’égard de plusieurs codéfendeurs dont certains sont domiciliés hors de l’Union Européenne, le demandeur, en l’absence de convention liant la France avec l’Etat tiers sur lequel sera domicilié le codéfendeur, pourra fonder la compétence des tribunaux français sur l’article 42 du code de procédure civil transposé à l’ordre international ( qui confère au demandeur la faculté d’attraire plusieurs défendeurs devant le tribunal du lieu où demeure l’un d’eux) à condition d’établir :

– que le défendeur domicilié en France (et justifiant la compétence des tribunaux français) est réel et sérieux,

– que cette compétence découle de son domicile réel et non d’une clause attributive de compétence ou d’une élection de domicile,

– qu’il existe un lien de connexité ou (plus rarement retenue par la jurisprudence) une identité de la chose à juger ;


[1] L’article premier du Règlement énonce :

1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2. Sont exclus de son application:

a) l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions;

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues;

c) la sécurité sociale;

d) l’arbitrage.

3. Dans le présent règlement, on entend par « État membre » tous les États membres à l’exception du Danemark.

[2] L’article 6 (1) du Règlement énonce

Cette même personne peut aussi être attraite:

1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément;