Un droit de suite généralisé aux Etats-Unis ?

04/06/2012

Suite au désintérêt de plusieurs propositions législatives présentées sur ce même sujet dès les années 1980, le Congrès des Etats-Unis prétend de nouveau à l’introduction du droit de suite dans la législation fédérale. Et si l’idéal français selon lequel les artistes plasticiens ont un droit patrimonial sur leur œuvre était enfin protégé aux Etats-Unis ? Tel est l’espoir que nourrissent le Député Jerrold Nadler et le Sénateur du Wisconsin Herb Kohl, membres du Parti démocrate : ils ont récemment déposé un projet de loi le 15 décembre 2011 devant la House Judiciary Committee : l’Equity for Visual Artists Act of 2011.

Par ce texte, l’exception californienne deviendrait principe aux Etats-Unis. En effet, à ce jour, seul l’Etat de Californie impose sur le territoire américain un droit de suite depuis le 1er janvier 1977[1]. Alors que l’inconstitutionnalité de cette loi étatique pour entrave au libre commerce de l’art contemporain entre les différents Etats américains est fréquemment invoquée, l’admission d’un droit de suite au niveau fédéral permettrait d’unifier le sort des artistes dont les œuvres sont revendues aux Etats-Unis. Il s’agirait également d’assurer une certaine équité entre créateurs : de hisser les peintres, sculpteurs et photographes sur un pied d’égalité économique avec les auteurs et autres dramaturges et musiciens-compositeurs, bénéficiaires depuis longtemps déjà de revenus issus de leurs droits d’auteur.

Concrètement, fédéraliser le droit de suite dit « resale right » ou « resale royalty », grâce à l’Equity for Visual Artists Act of 2011, consisterait à réserver pour le créateur ou ses ayants-droit une somme équivalente à 7% du prix de chaque revente lorsque l’œuvre n’est pas encore tombée dans le domaine public, i.e. pendant encore soixante-dix ans après le décès de l’artiste. Cette attribution interviendra à des conditions particulières : l’œuvre doit atteindre un prix de 10.000 dollars minimum, et la revente doit avoir lieu dans le cadre d’une maison de ventes aux enchères au chiffre d’affaires d’au moins 25 millions de dollars[2]. Ceci permet notamment de simplifier l’application de la loi, tout en saisissant l’essentiel du marché de la revente. Cette loi sera également un instrument de promotion de l’art contemporain, puisque la moitié des recettes du prélèvement de 7% ira dans un fonds d’acquisition destiné aux musées d’art à but non lucratif, afin de les aider à acquérir des œuvres d’artistes émergents domiciliés aux Etats-Unis. Ces dispositions sont différentes du texte de loi californien. De mise en œuvre moins systématique, le champ d’application étant réduit aux reventes d’un montant déjà important, la loi proposée ne concernera pas les ventes organisées par des marchands d’art ou par des galeries. En revanche les artistes concernés, plus nombreux, le seront plus longtemps, mais pour un bénéfice direct de seulement 3,5 % du produit de la revente contre 5% en Californie actuellement.

Protectrice des intérêts patrimoniaux des créateurs, par le biais d’une reconnaissance financière proportionnelle au développement de la popularité de leur travail, cette loi améliorera avant tout le bon fonctionnement du marché intérieur par la suppression des distorsions de concurrence qui l’affectent aujourd’hui. De plus, grâce au principe de réciprocité posé par l’article 14 ter de la Convention de Berne pour la protection internationale des œuvres littéraires et artistiques, signée par les Etats-Unis, une telle loi impliquerait le bénéfice d’un droit de suite pour les artistes américains dont les œuvres sont revendues en Europe. Avec ce risque, éventuel, que l’adoption d’un tel droit provoque la vente d’œuvres majeures par l’intermédiaire de réseaux clandestins, ou du moins l’accroissement des ventes privées en raison du manque de discrétion né de l’établissement d’un droit de suite généralisé engendrant une traçabilité des œuvres.

Notons qu’en Europe, depuis 2001, une directive désormais intégralement transposée impose le concept français de droit de suite à l’ensemble des Etats Membres de l’Union européenne, y compris au Royaume-Uni, capitale européenne du marché de l’art. Et cette harmonisation des différentes législations nationales n’a présenté en pratique aucune perte particulière de compétitivité. Sous cette lumière, le projet de  loi semble avoir plus de chances que les précédents, le paysage ayant pris de nouvelles couleurs. Cela étant, nous avons interrogé les porte-paroles des initiateurs de ce projet pour obtenir de plus amples informations sur son calendrier mais également sur la question de la charge de ce droit de suite, sans succès. Si cette loi est finalement votée par le Congrès réuni suite à la discussion qui se tient en ce moment même[3] devant la sous-commission de la Chambre des Représentants spécialisée sur les questions de «propriété intellectuelle, concurrence et Internet», les collectionneurs américains pourraient redécouvrir les places européennes où le droit de suite est plafonné à 12.500 euros ! Ou bien s’intéresseront-ils à des périodes artistiques libres de droit : l’Impressionnisme, l’Art Flamand, la Renaissance Italienne ? Mais rien n’est moins certain. Picasso restera Picasso, la passion de l’art pour l’art une évidence… les collectionneurs souffriront donc peu de cette évolution pourtant essentielle, protectrice des artistes plasticiens.



[1] Aux termes de la California Resale Royalty Act of 1976 – California Civil Code Section 986

[2] Visant notamment les maisons Bonhams & Butterfields, Christie’s, Phillips de Pury, Sotheby’s, etc. Notons qu’en sont exclus les sites d’enchères en ligne comme Ebay.

[3] Depuis le 6 janvier 2012.