Management package : le gain est-il un salaire ? (retour sur un arrêt du Conseil d’Etat)

02/03/2015

Que ce soit dans les opérations de LBO ou les opérations de capital développement, le « management package » a pour objectif un alignement des intérêts entre les actionnaires et les managers (mandataires sociaux) et salariés considérés comme clés. Cet objectif est rendu possible en utilisant différents outils, que ceux-ci soient prévus par la loi (stock-options, bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), distributions d’actions gratuites) ou simplement contractuels, créés par la pratique (bons de souscription d’actions (BSA), clauses de rétrocession de plus-values, simples options d’achat d’actions consenties conventionnellement… ) qui permettent à ces mandataires sociaux et salariés de devenir associés (ou de renforcer leur qualité d’associés) que ce soit immédiatement ou à terme. Le management package permet également, dans un contexte de concurrence entre entreprises, de conserver/attirer les meilleurs talents pour des PME/ETI qui ne peuvent pas forcément s’aligner sur les salaires offerts par les plus grandes entreprises.

Pour la première fois, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de la nature du gain s’agissant d’un management packages hors cadre légal, à savoir, en l’espèce des promesses de vente (encore appelées options d’achat). Le 26 septembre 2014 (Note 1), il a estimé que le gain résultant de la plus-value réalisée par un dirigeant bénéficiaire d’une telle option d’achat devait être imposé comme un salaire et non pas comme une plus-value de cession. Quelle est la portée de cette décision sur les outils de « management package » ?

Un mécanisme optionnel classique

En l’espèce, lors d’une opération de LBO, une holding de reprise constituée par des dirigeants et des investisseurs financiers prend le contrôle d’une société industrielle (H). L’un des dirigeants, personne physique, se voit notamment consentir une option d’achat portant sur les actions de H au prix par action de 7,6224 euros, moyennant le versement d’une indemnité d’immobilisation de 13 613 euros.

L’option d’achat était structurée tel que suit :

  • Le nombre d’actions final que le dirigeant pouvait obtenir suite à l’exercice de l’option dépendait du taux de rendement interne des investisseurs qui devait être d’au mois 25%, et
  • la levée de l’option d’achat est subordonnée à la condition que le bénéficiaire assume la fonction de dirigeant au sein de la société industrielle pendant au moins 5 ans.

Finalement, un peu plus de 5 ans après l’opération de LBO, une offre d’acquisition de la totalité des titres de H est faite pour un prix de 65,778 euros, le dirigeant lève l’option d’achat puis cède les titres acquis, et dégage une plus-value supérieure à 2 000 000 d’euros, qu’il déclare en plus value de cession de valeurs mobilières, soumise à l’époque au taux forfaitaire de 16% ainsi qu’aux prélèvements sociaux.

Le Conseil d’Etat, confirme la décision de la Cour d’appel ayant jugé que le gain était imposable dans la catégorie des traitements et salaires, estimant que le gain retiré par le dirigeant de la cession d’actions de la holding, « dont il était à la fois actionnaire et dirigeant, avait le caractère, non d’un revenu en capital, mais d’un avantage en argent, en raison des caractéristiques de la convention d’option d’achat d’actions qui lui avait été consentie ». Elle valide le raisonnement de la Cour d’appel qui avait considéré que l’octroi des options était lié «  à sa nomination en qualité de dirigeant du groupe Hubert » et jugé que « l’indemnité d’immobilisation d’un montant inférieur à 1% du gain retiré par M. B. de la cession des 35 719 actions de la société Hubert Finance, avait un caractère modique ».

Si cette décision est la première rendue par le Conseil d’Etat concernant la requalification en salaire d’une plus-value réalisée dans ce type d’opération, elle s’inscrit en effet dans le cadre des nombreuses remises en cause de ces mécanismes par l’administration que ce soit sur le terrain de l’abus de droit (lorsque les titres ont été placés dans un PEA) ou d’une requalification de la plus-value en salaire ou en BNC. L’idée sous-jacente de l’administration fiscale est de refuser à ces mécanismes créés par la pratique (qu’elle qualifie parfois « d’intéressement sauvage ») un traitement plus favorable que celui accordé aux stock-options attribuées dans le cadre légal de l’article 80 bis du CGI (Note 2).

De nombreux auteurs ont critiqué cette décision du Conseil d’Etat car elle semble condamner les promesses de vente et plus généralement tout mécanisme optionnel en faisant peser sur eux une insécurité juridique importante en permettant notamment à l’administration fiscale de jauger le risque financier pris à l’aune du gain final obtenu ! La majorité des commentateurs considèrent qu’il s’agit d’une occasion manquée pour le Conseil d’Etat de rendre une véritable décision de principe susceptible de guider la pratique. Cette décision est-il si critiquable ? Met-elle vraiment en danger toutes les promesses voire tous les Bons de Souscriptions d’Actions qui ont été consentis ? Est-il possible d’en tirer un guide pratique ?

Grille de lecture  

Dans la décision de la Cour d’appel, validé par le Conseil d’Etat, deux critères essentiels ressortent : (i) l’exercice de l’option est-elle subordonnée à des conditions relatives à l’exercice professionnel du dirigeant (maintien à son poste pendant une certaine durée, atteinte d’un objectif par exemple de TRI…) et (ii) l’existence d’un risque financier par le dirigeant ? Ces critères sont-ils cumulatifs / alternatifs ?

Faut-il considérer que le simple fait pour un revenu d’être conditionné à la qualité de salarié constituerait nécessairement un avantage en argent assimilable à un complément de salaire ?

En réalité, il semble que cela soit une condition nécessaire mais pas suffisante de l’assimilation à un complément de salaire.

Le deuxième élément a priori nécessaire consiste dans l’absence de risque financier pris par le salarié pour réaliser le gain.

La notion de prise de risque financier est un élément également mis en avant par le comité des abus de droit.

Encore faut-il déterminer ce que revêt exactement la notion de risque financier ? Au regard de la jurisprudence administrative et des décisions du comité des abus de droit, il convient d’analyser tant le montant des sommes investies que l’aléa économique auquel est soumis l’investissement. Ne peuvent ainsi être considérés comme constituant un risque suffisant :

  1. un investissement risqué mais faible (exemple de l’indemnité d’immobilisation dans l’arrêt du 26 septembre 2014 – note 3) ou
  2. un investissement important mais sûr (note 4).

Ainsi, il nous semble que l’arrêt de la Cour administrative et celui du Conseil d’état confirment, même si parfois relativement maladroitement (notion de caractère modique de l’investissement par rapport au gain retiré par exemple), une « grille de lecture » que le comité des abus de droit et la jurisprudence administrative tendent à mettre en œuvre. Dans le cadre de cette grille de lecture, les BSA et les promesses qui avaient été évalués à leur « juste valeur » par un tiers expert (avec l’aide de méthodes d’évaluation des options telle que la méthode dite « Black and Sholes » Note 5) ont de bons arguments à faire valoir devant les tribunaux administratifs.

Nouvelles perspectives

Le nouveau régime fiscal des plus-values, basé sur des abattements en fonction de la durée de détention de l’action a fait perdre aux régimes mécanismes optionnels tels que les BSA ou les promesses une grande partie de leur attrait (outre le fait nouveau pour les BSA qu’ils ne peuvent plus être placés dans un PEA).

Dans une précédente étude (Note 6), et devant cette nouvelle réglementation fiscale, nous avions exposé les charmes que pourrait revêtir l’action de préférence dite « négative » (pouvant bénéficier des régimes d’abattement mais pas du PEA).

Mais d’autres pistes sont également explorées tels que par exemple les schémas de package dilutifs dans lesquels on utilise des obligations convertibles en actions attribuées aux investisseurs, ces OC étant converties en actions en cas de manque de performance du management.

Enfin, un nouvel horizon s’ouvre s’agissant de l’attribution d’actions gratuites aux salariés, dont le régime sera prochainement rendu plus attractif par la loi dite « Macron », ce que nous analyserons dans le cadre d’une prochaine étude. Les BSPCE demeurent l’outil des start-up et des jeunes PME (Note 7), outil particulièrement intéressant dans le cadre du capital risque et du capital développement. Leurs conditions d’émission doivent en outre également être assouplies par la loi Macron (Note 8).

Samuel Schmidt – Avocat associé (UGGC Avocats)

Note 1 : Conseil d’Etat, 26 septembre 2014, n°365573, Gaillochet

Note 2 : Voir notamment les conclusions du rapporteur public dans le cadre de l’arrêt du 26 septembre 2014. Revue de droit fiscal, n°47 ? 20 novembre 2014, comm. 636. L’article 80 bis du CGI relative aux « stock-options » dispose que « L’avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l’action à la date de levée d’une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, et le prix de souscription ou d’achat de cette action est imposé dans la catégorie des traitements et salaires. »

Note 3 : la prime d’un montant de 13 613 euros représentait 5% du prix de levée d’option des 35 719 actions ce qui est effectivement peu par rapport aux résultats auxquels aboutissent les évaluations réalisées par les experts. Par contre l’appréciation du caractère modique par rapport au gain finalement réalisé dans le futur n’est, comme l’ont relevé les commentateurs de cet arrêt, pas pertinente.

Note 4 : voir notamment avis n°2013- 36 : http://www.impots.gouv.fr/portal/deploiement/p1/fichedescriptive_6905/fichedescriptive_6905.pdf

Le comité constate « que M. B a effectivement acquis les actions de la société I au moyen de sespropres deniers et que cet investissement représentait une part substantielle des revenus qu’il avait perçus au cours de l’année précédant cette acquisition » mais constate également « que, compte tenu des données relatives au groupe S, que ces dirigeants ne pouvaient ignorer, M. B était en réalité assuré,quel que soit le TRI réalisé à la date de la cession ou l’introduction en bourse de la société N, de récupérer son investissement dans les BSA à leur prix de souscription initial, tout en étant susceptible de réaliser un gain substantiel en cas de succès de l’opération. » :pour le comité, cela démontre l’abus de droit (« l’inscription dans le PEA pour leur prix de souscription des actions de la société I, comprenant des BSA ayant en réalité la nature d’un intéressement lié aux fonctions salariales exercées en tant que dirigeant par M. B au sein du groupe S, traduit la poursuite d’un but exclusivement fiscal par application littérale des textes régissant le PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur »)

Note 5 : il n’existe pas à notre connaissance de décisions du comité des abus ou de décisions des tribunaux administratifs appliquant ou contestant cette méthode mais il nous semble que cela devrait être le cas dans un proche avenir compte tenu du fait qu’elle est largement utilisée dans les évaluations à dire d’expert des packages, évaluation désormais courantes dans le capital-transmission voire le capital développement.

Note 6 : Adieu BSA : vive les actions de préférence négatives ? : http://private-equity-et-fusions-acquisitions.uggc.com/management-package-adieu-bsa-et-vive-les-actions-de-preference-negatives/

Note 7 : les BSPCE, un outil d’intéressement adapté aux jeunes PME : http://schmidtavocatblogducapitalinvestissement.typepad.com/samuel_schmidt_avocat_le_/2012/04/management-package-les-bspce-un-outil-dint%C3%A9ressement-adapt%C3%A9-aux-jeunes-pme.html

Note 8 : voir notamment le dernier état du projet tel qu’adopté par l’assemblée : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0473.asp

; ainsi que le rapport à l’assemblée http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r2498-tI-v1.pdf(pages 50 et s.).

 

Cette article a été réalisé avec l’aide de Melle Samia Mekhaneg, élève avocate à l’EFB